On n’aime pas Hannelore Cayre pour ses intrigues ou sa gentillesse. On l’aime (ou on la déteste) pour son écriture ciselée ; pour sa façon de croquer ses personnages à la manière d’une caricaturiste, en en amplifiant avec une méchanceté, une jubilation et un talent réjouissants les défauts ; pour sa description sans pitié d’un monde que le lecteur moyen connaît mal, le monde judiciaire. Tout cela est encore amplifié dans Ground XO, le troisième volume des aventures de son avocat calamiteux, Christophe Leibowitz, personnage (il est difficile de le qualifier de héros !), de Commis d'office et Toiles de maître.
Il vivote maintenant en sous-louant un cabinet à une trentaine d'avocats encore plus fauchés et mal partis que lui. Cela lui donne assez d’argent pour ne plus avoir besoin d’accepter d’être commis d’office, et lui laisse assez de marge pour boire, pour boire trop même. Il avait complètement oublié qu'il s'appelle Leibowitz-Berthier, sa mère morte depuis quelques années ayant complètement coupé les ponts avec sa famille. C’est alors qu’il apprend la mort de sa tante quelque part en Charente. Lors de l'enterrement, il découvre avec stupeur qu'il est en partie propriétaire des Cognacs Berthier. Voyant là une occasion d'arrêter, enfin, un métier qui le désespère, il décide de créer, en France, une mode du Cognac pour les truands, rappeurs et vendeurs de cocaïne, comme chez leurs collègues américains. Ce serait bien le diable, avec son carnet d'adresse de dealer et autres trafiquants s'il ne trouvait pas l'oiseau rare, capable de lui pondre le rap qui fera fureur …
Revoilà donc le ton Hannelore Cayre : humour très noir, vivacité, méchanceté étincelante quand il s'agit de dépeindre le milieu judiciaire, descriptions au scalpel des juges, avocats, flics, mais aussi des dealers, rappeurs et autres vendeurs de cocaïne. La description des avocats minables qui peuplent son bureau vaut, à elle seule, l’achat du bouquin !
« ceux qui faisaient du droit des affaires détestaient les pénalistes, leur reprochant d’introduire des voleurs et des escrocs dans le cabinet. Les pénalistes détestaient les civilistes, leur reprochant leur usage immodéré de la photocopieuse. Tous détestaient les spécialistes en droit des étrangers, leur reprochant d’encombrer la salle d’attente de gueux que personne ne voulait voir s’installer en France. »
Attention, tenant du politiquement correct et du langage faux-cul restez à distance, Hannelore Cayre appelle un chat un chat, et un sale con un sale con. Et pourtant, sous le jugement sans appel de l'hypocrisie et de la vulgarité d'une époque, on sent, par moment, une grande compréhension, et même une tendresse pour certains paumés qui n'ont vraiment pas été aidés dans la vie.
Elle préfère la poésie brute d'un môme tout étonné qu'on soit, pour la première fois de sa vie, gentil avec lui, à l’onctuosité hypocrite d’un avocat installé, fier de son appartenance à une élite auto proclamée.
Et tant qu’à avoir affaire au libéralisme le plus sauvage, elle préfère l'avidité et la vulgarité déclarées et revendiquées des dealers que les airs pincés et moralisateurs des nantis qui font la même chose, mais légalement et sans avouer leur cupidité :
- « C’est quoi un gangsta français ? demanda François, intrigué.
- Un barbare urbain qui ne s’intéresse qu’au fric et au cul. Le plus fier et le plus moderne représentant des valeurs ultralibérales en France »
Alors forcément, elle ne peut pas plaire à tout le monde.