La Voix d’Arnaldur Indridason a gagné le prix du polar étranger de l’association 813. Fort bien. J’en suis ravi, c’est, comme les deux romans précédents d’Indridason un excellent roman. Je n’en parlerai pas ici car j’ai pu me rendre compte au fil de mes pérégrinations sur différents blogs qu’il est déjà connu et apprécié, et c’est mérité et tant mieux.
Pourtant, pour cette « élection », j’avais trois autres chouchoux (x comme choux, poux, hiboux … ?). Voici le premier d’entre eux.
Il est anglais, très jeune, et c’est son premier roman, écrit en fait comme mémoire de maîtrise. Incroyable mais vrai, il me l’a révélé lors d’un mini interview réalisé à Frontignan (festival inoubliable) en juin dernier.
Jeux d’enfants n’est pas un livre facile. Ce n’est même pas un livre que je conseillerai à n’importe qui. Mais c’est un roman qui a marqué tous ceux qui l’ont lu. Son narrateur est Jack. Jack ne s'appelle pas Jack. Pour les tabloïds anglais, depuis quinze ans, il est Boy A, le monstre qui avec Boy B avait torturé et tué Angela, une gamine de dix ans, quand lui-même n'était qu'un enfant. Depuis, Boy B a été « suicidé » en prison, et Boy A vient juste de sortir de prison, sous l'identité de Jack, et sous la protection de l'éducateur qui le suit depuis son incarcération. Jack va essayer de se créer une nouvelle vie. Il trouve un travail, se fait des copains, et tombe même amoureux de Michelle. Mais surtout, Jack vit dans la peur permanente d'être reconnu. Mais les tabloïds veillent.
Dans un aller-retour permanent entre le présent de Jack, et son passé, avant et après le meurtre, Jonathan Trigell concocte un suspense, une tension qui vont croissant, et prennent littéralement le lecteur à la gorge. Une double question obsède le lecteur jusqu'à la toute fin du roman: Que c'est-il réellement passé ce jour là ? Et Jack va-t-il vraiment pouvoir refaire sa vie ? La grande originalité du roman est de s'intéresser non pas à l'élucidation d'un meurtre, mais à la possibilité d'une réinsertion du meurtrier. Sa première force est d'avoir réussi à le faire avec autant de tension et de suspense qu'une traque classique. Mais ce n'est pas tout. Trigell dresse des portraits magnifiques, de victimes et de bourreaux, sans manichéisme, sans angélisme mais avec beaucoup d'humanité. Son roman est surtout une charge implacable contre une presse britannique pourtant montrée en exemple par ceux qui oublient que les journaux les plus lus sont aussi les plus orduriers. Leur rôle et l'ambiance de lynchage généralisé qu'ils alimentent dans une population prête à tous les préjugés sont dénoncés sans pitié.
Le lecteur sonné referme le bouquin avec cette question en tête : suis-je vraiment meilleur qu'eux tous, ceux qui lisent cette presse, et veulent la peau de Boy A ?
Allez jeter un œil à l’interview, et si le thème ne vous effraie pas trop, lisez ce roman bouleversant. A venir un autre outsider : Daniel Woodrell.