J’étais au Congo, j’y reste, même si je change totalement de style.
John Le Carré, depuis ses premiers romans au début des années soixante, jusqu’à la chute du Mur a été La Référence en termes de roman d’espionnage mettant en scène le grand jeu entre les deux blocs. On pouvait se demander si le bouleversement géopolitique n’allait pas tarir son inspiration. Il a depuis largement répondu à cette question, et avec quel talent.
Alors que d’autres, comme Henry Porter ont utilisé comme champ d’écriture la lutte contre le nouvel ennemi numéro un (à savoir le terrorisme), John Le Carré semble avoir retrouvé le meilleur de son génie en démontant, avec une rage de jeune homme, les rouages des machinations de nos grandes multinationales, aidées par des états complices, pour mettre la main sur les ressources des pays du tiers monde. Son nouveau roman, Le chant de la mission est dans cette veine.
Le narrateur est Bruno Salvador, fils naturel d'un prêtre irlandais et d'une villageoise congolaise qu'il n'a jamais connue. Elevé par des moines, il a fait preuve d’un don naturel pour les langues ce qui lui a permis de devenir interprète free lance. Remarqué par les services secrets britanniques il travaille parfois pour eux. Mariée avec une belle fille de la haute, il vit à Londres sans s’apercevoir que sa vie est devenue vide de sens. Tout bascule avec sa rencontre avec Hannah, belle infirmière congolaise dont il tombe amoureux, et qui ranime sa conscience africaine. Deux jours après sa rencontre, il est choisi pour servir d’interprète pour un week-end au cours duquel il doit aider un Syndicat aussi riche et puissant qu'anonyme à mettre d'accord des chefs de guerre congolais pour qu'ils aident un nouvel homme providentiel à apporter la paix dans ce pays ravagé par les conflits. Quand il s'aperçoit que le soi-disant plan de paix n'est qu'un avatar de plus pour piller un pays déjà exsangue, il décide de réagir.
Empruntant la voix du narrateur, sorte de caméléon qui a profité de son don des langues pour se croire anglais, John Le Carré se lance dans la description pleine de verve, de couleur, et d'indignation de la façon dont l'Europe, sous couvert de belles intentions humanitaires, continue à piller l'Afrique. Bien sûr, il n’écrit ni un pamphlet, ni un essai, mais un vrai roman d'espionnage, totalement nouveau dans le style, mais toujours aussi efficace et précis dans sa façon de démonter les rouages des machinations, et impeccable dans la montée de son suspense.