La découverte de John Burdett avait été pour moi une immense claque. Bangkok 8, publié aux presses de la cité, et depuis repris en poche, est un véritable ouragan de vitalité, d’odeurs, de bruit, de fureur, d’énergie, de violence, d’humour … Les américains parlent d’un cinéma qui doit être « bigger than life », cet anglais au look si british, avec la complicité active de la ville de Bangkok, personnage à part entière de ce roman totalement hors norme, y parvenait d’une façon éblouissante. Craignant d’être passé à côté d’autres chef-d’œuvres de l’auteur, je m’étais immédiatement renseigné sur ses romans, pour apprendre que le précédent, Typhon sur Hong Kong, n’était plus disponible.
Il l’est aujourd’hui, grâce à Folio Policier qui le réédite.
L’inspecteur Chan travaille pour la criminelle de Hong Kong. Il suit ce qui pourrait bien être sa dernière enquête pour le compte de sa Très Gracieuse Majesté Britannique car, dans deux mois, l’île sera remise sous contrôle chinois. Une enquête hors normes, puisqu’il s’agit de découvrir qui sont les trois personnes qui ont été passées, vivantes, dans un hachoir industriel. Tâche difficile, les steaks hachés étant peu bavards, tâche d’autant plus difficile qu’entre les différentes triades, et le général Xian, de l’armée populaire de Chine, qui contrôle tout le trafic entre la République Populaire et les mafias locales et occidentales installées à Hong Kong, les coupables potentiels ne manquent pas. Pour corser le tout, Chan risque de ne pas être libre de ses mouvements dans une affaire qui se révèle rapidement à très haut risque diplomatique.
On trouve déjà, dans ce premier polar de John Burdett (du moins, je crois bien que c’est le premier), ce qui allait faire le succès des suivants : En premier lieu, la superbe description d’une ville asiatique monumentale, surpeuplée, survoltée, totalement hors norme pour le lecteur européen ; ensuite le choc des cultures asiatiques et occidentales ; tout cela lié par une intrigue solide, souvent insolite, qui multiplie les chausse-trapes. Pour finir, une galerie de personnages impressionnante, avec dans le premier rôle un flic qui préfigure Sonchaï Jitpleecheep, l’extraordinaire flic thaï de la série à venir (Bankok 8 et Bangkok tattoo): métis comme lui, abandonné par son père comme lui, incorruptible comme lui, excellent flic également.
La différence repose évidemment sur le lieu, et le moment historique, l’imminence du retour de Hong Kong dans le giron de la Chine pesant de tout son poids sur l’atmosphère de ce polar. C’est également ce qui fait la légère faiblesse de Typhon, par rapport aux suivants. John Burdett y défend une thèse, celle de sa vision de la Chine et de ses rapports avec le reste du monde. Il les défend de façon passionnée et appuyée, trop appuyée, ce qui fait parfois basculer son roman dans l’essai et le pamphlet. Dans les romans consacrés à Bangkok, tout passe, magnifiquement, par la narration, les dialogues ou les situations (souvent très drôles). C’est beaucoup plus efficace, et surtout beaucoup plus romanesque. Cela laisse la liberté au lecteur de tirer les conclusions qu’il veut, à partir d’une réalité bien entendu déformée par la vision de l’auteur. Typhon sur Hong Kong n’est donc pas exempt d’une certaine maladresse, même s’il reste fort intéressant, en plus d’être très prenant, John Burdett, dès ce premier polar, s’y entendant parfaitement pour tricoter une intrigue. Un brouillon tout à fait recommandable avant la perfection ébouriffante des chef-d’œuvres suivants.
D’après le site de l’auteur, un troisième roman de la série Sonchaï Jitpleecheep, Bangkok haunts a déjà été publié en anglais. Vivement qu’il soit traduit.