Voici le nouveau roman de Jerry Stahl, qui avait fait des débuts remarqués en France avec un polar complètement déjanté et survolté, A poil et en civil.
Ceux qui s’attendent à lire un nouvel OVNI dans la tonalité du premier vont être surpris. Surpris, mais pas du tout déçus. Moi, Fatty, dans un genre totalement différent, est, à mon avis, encore meilleur que le précédent.
Fatty c’est Roscoe Arbuckle un gamin du Kansas obèse martyrisé par un père ivrogne. Dès qu’il peut, il s’enfuit avec une troupe de théâtre et se retrouve à Los Angeles. Là il a la chance de rencontrer le cinéma naissant, et commence à tourner des bobines chez Mack Sennett. Sa silhouette et son talent comique sont reconnus, et il signe des contrats en or qui font de lui un millionniare. C’est le grand boom du démarrage d’Hollywood, ses amis s’appellent Keaton, Chaplin, Fairbank … Au moment où l’Amérique se rigidifie et vote la prohibition, ils mènent une vie de nababs et passent de fêtes en fêtes. Jusqu’au jour où Fatty se fait piéger et se retrouve entre les griffes d’un procureur ambitieux sous l’inculpation de viol et de meurtre. Il a beau être innocent, les ligues de vertu veulent du sang, les studios doivent se racheter une virginité, il plongera. Après la gloire et l’adulation, viennent l’enfer et la haine.
Difficile de classer ce roman dans une de nos chères catégories. Il parait certes dans une collection de polars, et c’est vrai qu’il est noir. Mais il aurait très bien pu être publié ailleurs. Pas de meurtre à élucider, de flic ou de privé, mais un roman en deux parties.
La première est passionnante pour tout cinéphile, même ayant une culture aussi limitée que la mienne sur le cinéma muet et le burlesque (je n’avais par exemple jamais entendu parler de Fatty). Voir le démarrage des grands studios, la façon de travailler de légendes comme Buster Keaton, ou Charlie Chaplin, observer l’émergence d’un art au début méprisé par les gens de spectacle … Le tout fort bien conté. Rien que pour cela, le roman de Jerry Stahl vaut la peine.
La deuxième partie, la mise à mort médiatique de Fatty, est bouleversante et atterrante. Bouleversante car le roman est véritablement habité par son sujet, et le lecteur ressent la détresse, le désespoir d’un homme qui s’est cru aimé par les gens et voit à quelle vitesse ils se mettent à le haïr. Un homme qui a cru sortir de l’enfer de son enfance, et s’y retrouve plongé d’un coup, sans avoir rien vu venir. Atterrante pour sa description du poids d’une morale rigide et de la saloperie de média charognards prêt à tuer un homme pour vendre leur soupe, pour sa peinture du comportement de la foule, prête à lyncher celui qu’on désigne à sa vindicte. Difficile quand on lit cela de ne pas penser au retour des fondamentalistes, difficile de ne pas penser à quelques lynchages médiatiques récents, difficile de croire que c’est un hasard si Jerry Stahl écrit ce roman aujourd’hui … Un excellent roman qui nous dit, aujourd’hui, de garder les yeux très grands ouverts.