Comme promis, voici la première fiche qui n’a pu trouver sa place dans le monumental DILIPO. Comme la suivante, elle concerne un auteur inclassable, qui a ce titre, aurait pu, à la marge, y entrer.
Thomas Coraghessan BOYLE est né le 2 décembre 1948 à Peekskill, USA. Issu d’une famille modeste, il découvre la lecture et la littérature vers 15 ans au lycée. A 17 ans, il souhaite devenir musicien, mais, selon ses propres termes, son manque de talent et de discipline le découragent, et il choisit de se spécialiser en histoire, sans trop savoir pourquoi, sinon que cela lui permettait, déjà d’écrire. Il n’abandonne pas totalement la musique, se passionne pour le rock, et s’essaie à la batterie, puis au chant. En parallèle, il commence à suivre des cours de création littéraire. Son apprentissage de l’écriture est interrompu par une période de 2 ans, pendant laquelle il devient accro à l’héroïne. Il lui faut deux nouvelles années pour se désintoxiquer. Il part alors pour l’Iowa où il suit un nouveau cours de création littéraire sous la houlette, entre autres, de John Irving.
A peine ses examens passés, alors qu’il n’a encore écrit que des nouvelles, il s’attaque à Water Music, et passe les trois années suivantes à en écrire les 104 chapitres. Ce livre monument est un succès immédiat, et est depuis devenu un livre culte dans ne nombreux pays. Il habite maintenant en Californie du Sud où il enseigne à son tour. Dès ce premier roman, l’œuvre de T. C. Boyle se révèle inclassable. La double histoire, de Mungo Park, l’explorateur écossais qui le premier descendit le fleuve Niger, et de Ned Rise, petit filou qui essaie, vainement, de survivre dans les bas-fonds sordides et dangereux de Londres, est à la fois un roman d’aventure, un roman picaresque, un roman noir, un roman d’initiation, un roman historique, un roman social, et bien d’autres choses. Le fond du roman est d’une noirceur insupportable ; mais grâce à la truculence du style, à la vitalité extraordinaire des personnages, et à l’imagination de l’auteur, autant pour décrire les aventures de Mungo Park, que pour imaginer les arnaques que monte Ned Rise pour essayer de s’en sortir, le lecteur se régale et jubile.
Son roman suivant, La belle affaire (Budding Porspects, 1984), est moins baroque, et plus facilement identifiable au roman noir. Félix, Phil et Gesh sont trois trentenaires dilettantes, pleins de projets jamais aboutis. Un jour un copain de Félix, accompagnée de sa copine du moment, et d'un expert botaniste leur propose un plan qui les rendra riches sans risque : Il a trouvé un terrain paumé, avec un chalet, et propose à Félix et ses deux acolytes d'aller y faire pousser 2000 pieds de cannabis, ce qui devrait leur rapporter 500 000 dollars. Avec l'expert et un peu de boulot, c'est immanquable. Faute de mieux, Félix, Phil et Guesh acceptent. Bien entendu, c’est là que les choses commencent à se gâter : le chalet tient plus de la cabane en ruine que du 3 étoiles, les locaux n'aiment pas trop les hurluberlus chevelus, et le travail de la terre, même pour y faire pousser de l'herbe, reste … un travail, donc fatigant ; et qui plus est, aléatoire. Les 500 000 dollars commencent à fondre. Tout cela, pour s’apercevoir, à la fin de ce fiasco annoncé, qu’ils se sont fait arnaquer du début à la fin par leur commanditaire.
Deux destins parallèles, un malheur et une haine qui enflent, hors de toutes les limites du raisonnable, jusqu'à l'improbable confrontation finale. La façon dont le couple de clandestins s'enfonce dans une misère de plus en plus atroce, inéluctablement, est difficilement supportable. La charge contre le couple de bons américains plutôt intellos, plutôt de gauche, sans doute démocrates, qui se donnent bonne conscience à peu de frais, et basculent au moindre problème dans une paranoïa et une haine raciale hallucinante est féroce et implacable. Tout sonne abominablement vrai. La progression impeccable de l'intrigue donne au lecteur l'impression d'être pris dans des sables mouvants, et de s'enfoncer un peu plus à chaque geste, à chaque page. Caché sous cette histoire qui, finalement, n’a rien d’extraordinaire, ce roman est un réquisitoire sans appel contre la société américaine, ses injustices et ses hypocrisies. Un roman impressionnant, qui vous laisse des marques indélébiles à ceux qui en supportent la lecture.