Ce billet est exceptionnel (dans le sens qu’il représente une exception), il va causer d’un essai.
Je ne lis en général jamais les essais car, souvent écrit avec les pieds, ils m’ennuient généralement avant la fin de l’introduction. Quand j’arrive à vaincre ma somnolence, je tombe soit sur du jargon incompréhensible sans un énorme effort, soit sur un auteur qui répète tout trois ou quatre fois pour être sur que je vais comprendre. Résultat, je m’emmerde, et je me précipite sur un polar.
Or non seulement j’ai lu Le plein, s’il vous plait de Jean-Marc Jancovici et Alain Grandjean jusqu’au bout, mais en plus j’y ai pris plaisir.
Autant le dire tout de suite, ce n’est pas un bouquin fait pour vous remonter le moral. Si vous croyez, et voulez continuer à croire, que nos ingénieurs, politiques, associations … vont trouver une solution miracle pour nous permettre de vivre indéfiniment comme aujourd’hui sans rien lâcher et sans prendre un terrible retour de bâton dans les gencives, laissez tomber. Si vous n’avez pas peur de vous mettre à flipper à l’évocation de ce qui nous attend si nous ne faisons rien, si vous préférez être inquiet mais conscient, qu’aveugle et heureux, précipitez-vous.
En quelques chapitres, les auteurs s’attachent à montrer :
- Qu’il ne reste pas de pétrole/gaz/charbon pour continuer plus de 20 ans à croître comme le veulent nos chers économistes zé politiques (et nous-même d’ailleurs).
- Que les indicateurs économiques actuels (PIB en tête), sont devenus totalement inadaptés, car ils ne prennent pas en compte l’épuisement des ressources naturelles, tout simplement parce que la Nature ne présente pas (pour l’instant) de facture.
- Que quoiqu’on dise, malgré des progrès en termes de rendement de nos machines, toute croissance s’accompagne d’une augmentation de notre consommation d’énergie, et des rejets de CO2.
- Que la catastrophe naturelle arrivera justement au moment où, l’énergie commençant à manquer sérieusement, nous n’aurons plus les moyens d’y faire face sans casser beaucoup d’œufs.
- Que par le passé, toutes les crises économiques graves se sont terminées par dictatures, guerres et autres joyeusetés.
- Que la seule solution, plutôt que de prendre une grande claque imposée dans 20 ans, est d’augmenter progressivement le prix de l’énergie dès aujourd’hui, et ce au moyen d’un impôt qui revienne à l’état.
- Que pour ce faire il ne faut pas moins d’état et plus de marché comme prétendent tous les média, mais au contraire plus d’état.
Le tout avec des explications scientifiques à la portée de tous, et des exemples très concrets pour illustrer le propos. Extraits :
« Cette fin de la croissance matérielle, nous ne la voyons pas dans nos indicateurs économiques, pour l’excellente raison que ces derniers ignorent superbement une inversion qui a commencé il y a quelques décennies. Ce qui a toujours été, dans l’histoire de l’humanité, le premier facteur limitant (le travail) est devenu excessif, et ce qui était excessif (les ressources naturelles et la capacité d’épuration de la planète) est en passe de devenir insuffisant »
« Tout le système comptable des entreprises a hérité de ce vice de construction : si un morceau de la planète (organismes vivants inclus) n’est la propriété de personne, alors il est gratuit. Et s’il est gratuit, sa dégradation ne se fera pas sentir directement dans l’économie. »
« Le PIB : l’art de compter ce que l’on gagne en oubliant ce que l’on doit »
« même les crottes de chien sur les trottoirs font grimper le PIB, quand on commence à acheter des décrotteuses et à payer des gens à décrotter »
« notre rapport à la puissance publique est pour le moins contradictoire. Lundi l’Etat nous asphyxie d’impôts, et puis mardi arrive une épidémie, et les médecins –fonctionnaires – sont formidables, mercredi une inondation, et les pompiers sont formidables … »
« Examinons maintenant une autre objection faite à la taxe : elle va nuire à la compétitivité des entreprises. Or la « Compétitivité » est la déesse des temps modernes. Rien n’est faisable qui Lui soit désagréable. On peut à peine se demander s’il faut lui sacrifier une partie de l’espèce humaine ! Il est amusant de voir que l’histoire se répète : lorsque la suppression de l’esclavage fut envisagée, ses partisans disaient aussi que cela allait nuire à la compétitivité ».
Voilà, je ne sais pas si tout cela vous donnera envie. Vous pouvez aussi aller sur le site de Jean-Marc Jancovici qui est extrêmement instructif, et souvent assez drôle.