Le noir va bien aux toulousaines. Un nouvel exemple avec Petits arrangements avec l’infâme de Patricia Parry.
Antoine Le Tellier est psychiatre à Toulouse. Un matin les policiers lui amènent Khaled Addad qui souffre d’amnésie et d’hallucinations et est soupçonné d’avoir égorgé sa sœur. La droite dure profite de l’occasion pour fustiger, une fois de plus, l’intégrisme musulman, supposant que c’est encore un grand frère qui a tué sa sœur trop « occidentalisée ». La tension se propage, les quartiers sensibles explosent, et le grand guignol médiatique se met en branle, avec politiques « responsables », et grands défenseurs des minorités opprimées. Les choses se compliquent encore quand d’étranges résonances apparaissent entre l’affaire Addad, et une autre, fort vieille et également très médiatique à l’époque : l’affaire Calas, bourgeois protestant accusé d’avoir tué son fils, condamné et exécuté avant d’être réhabilité par Voltaire. Quand la presse perçoit les parallèles, le cirque se déchaîne …
Malgré quelques réserves, j’ai passé un excellent moment de lecture. Commençons par les réserves.
Tout d’abord le personnage principal, Le Tellier, un peu trop beau, trop lisse, trop parfait pour l’amateur de romans noirs et de ses héros cabossés et déglingués que je suis. Il lui manque, à mon goût, quelques fêlures, défauts, faiblesses … Il me plaira sans doute davantage s’il prend quelques baignes.
Ensuite j’ai du mal avec les romans qui tournent autour de la théorie du complot. J’ai l’impression que les pires saloperies sont souvent le résultat combiné de manipulations et de calculs plus ou moins machiavéliques, avec des mesquineries et méchancetés tout à fait ordinaires. Des manipulations à l’échelle de quelques semaines, mois, voire années. J’ai plus de mal avec des complots ourdis depuis des siècles par des sociétés secrètes remontant à la plus haute antiquité …
Ceci dit, et ces réserves étant exprimées, il reste beaucoup de très bonnes choses dans ce polar. Première, et non des moindre, le rythme et le suspense sont parfaitement maîtrisés. Passé un certain point il devient impossible de refermer le bouquin. Au moment même où le lecteur se demande comment l’auteur va pouvoir se dépatouiller du lien entre les événements passés et présents, la solution arrive, élégante, surprenante et convaincante.
Ensuite, en terre toulousaine, le parallèle entre l’affaire Calas et les arguments plus ou moins hypocrites que l’on entend à droite et à gauche contre les musulmans est judicieux, pour ne pas dire salutaire. Il est particulièrement bénéfique de rappeler, comme le fait Patricia Parry, que les premières victimes des intégristes sont, doublement, les athées venant de familles musulmanes : Un ils subissent la pression des fanatiques religieux, sous le prétexte d’un communautarisme dont ils ne veulent pas. Deux, ils sont assimilés par les français « de souche », à ceux qui, justement, leur pourrissent la vie. C’est comme si, non content d’être sous pression des curés toute la journée, je me faisais traiter, quand je sors de chez moi, d’intégriste. J’imagine sans peine que je tournerais très vite en bourrique. L’auteur nous fait très bien toucher du doigt cette réalité. Elle est atterrante.
Pour finir, et on sent là l’expérience professionnelle de Patricia Parry, le regard sur la folie, la différence, et son traitement par les professionnels est rendu de façon très convaincante et très humaniste.
Au final, malgré quelques réserves, c’est un bon roman noir, qui donne envie de suivre l’auteur et le personnage (en espérant qu’elle le cabossera un peu).
Patricia Parry / Petits arrangements avec l’infâme (Seuil, 2007).