Elmore Leonard est plus connu pour ses polars plutôt rigolos que pour ses westerns. C’est grâce aux rééditions de chez Rivages que j’ai découvert ces derniers ; puis leurs adaptations cinématographiques. Coïncidence, je venais de voir la version de 1957 de 3 :10 pour Yuma tiré d’une nouvelle de Leonard, avec un Glen Ford fascinant, et en face, Van Heflin, parfait dans sa raideur et rigueur sans charme mais sans faille, quand j’apprends qu’arrive sur nos écrans un remake avec Russell Crowe. Presque en même temps Rivages entame la réédition des nouvelles western d’Elmore leonard avec Médecine apache. Une excellente occasion pour faire un point sur un genre totalement méconnu, tant le western, malgré un renouveau récent, semble faire partie d’un passé cinématographique. Sans parler des romans qui sont totalement ignorés. Qui sait par exemple qu’avant d’être une série télé, Deadwood est un roman extraordinaire de Pete Dexter, publié dans l’indifférence générale dans La Noire, puis repris en folio policier ?
Mais revenons à Elmore Leonard. Si ces polars sont plutôt rigolos, et mettent en scène des olibrius, des zozos, des zouaves (du moins en majorité), ses westerns, étonnamment, sont beaucoup plus sombres, sociaux, noirs. L’ouest de ses western est violent (c’est classique), il est aussi raciste, bourré de préjugés, contre les indiens (souvent apaches), mais aussi les noirs, les mexicains … Il est au main des riches propriétaires, terriens ou miniers, qui font la loi et écrasent toute tentative de remise en cause de leur pouvoir. Sauf, sauf, car sinon il n’y aurait pas d’histoire, quand le héros métis/mexicain/ancien éclaireur des guerres apaches, souvent entre deux cultures, arrive à faire triompher une certaine justice, par les armes, bien entendu.
Voilà pour le fond. Pour la forme, Elmore Leonard est un extraordinaire raconteur d’histoires, et un créateur de personnages magnifiques (ce n’est pas non plus un hasard s’il a été tant adapté au cinéma). Ses westerns, comme ses polars se lisent tout seuls, les pages tournent, tournent, et on arrive à la fin ravis, le sourire aux lèvres.
La réédition récente, Médecine apache, est bien représentative de ces qualités : neuf longues nouvelles mettant principalement en scène les guerres indiennes contre les apaches dans le sud désertique et brûlant. Les apaches d’Elmore Leonard ne sont pas de gentils indiens victimes de méchants blancs. Et ses blancs ne sont pas de gentils cultivateurs sauvagement massacrés par de sanguinaires indiens. Les apaches sont des guerriers, des prédateurs. Ils se caractérisent par leur cruauté, leur violence, leur courage, leur valeur au combat … et leur alcoolisme. Les blancs sont racistes, menteurs, violents, égoïstes, parfois lâches, parfois superbement courageux. Certains vivant dans ce sud omniprésent sont devenus un peu « apaches » : Ils les comprennent, les respectent, ce qui ne les empêche pas de les combattre. Neuf nouvelles, âpres, rudes, comme les personnages en présence, lumineuses comme le désert. Neuf grandes nouvelles qui complètent le magnifique travail de réédition de Rivages, que l’on ne saurait trop remercier.
Pour les autres, voici un petit panorama, non exhaustif.
Le plus sombre est sans doute Les chasseurs de prime. Dave Flynn a été lieutenant de cavalerie, il est maintenant éclaireur civil. Sa nouvelle mission ressemble à un véritable suicide : accompagner un jeune lieutenant, à peine sorti de l'école, au Mexique, et y attraper Soldado Viejo, vieux chef apache qui fait tourner en bourrique américains et mexicains depuis des années. Tâche d’autant plus rude que plus que sur place, les rurales, nouvelle force de police mise en place par le gouvernement mexicain, formée essentiellement de crapules sorties de prison pour l'occasion, et une bande de chasseurs de primes plus teigneux et dangereux qu'un nid de crotales, tous recherchés au Nord du Rio Grande sont aussi sur la piste de Soldado Viejo. Autant dans ses polars les méchants sont tellement bêtes qu'ils finissent par être plus drôles qu'inquiétants, autant ici ce sont de véritables vermines malfaisantes, pourries jusqu'à la moelle, qui filent la pétoche. Sa peinture de la main mise sur un village entier par un militaire hautain et corrompu et une bande de pourritures sans foi ni loi est effrayante.
Assez atypique, Le zoulou de l’ouest met en scène le nouveau directeur du pénitencier de Yuma qui, contre le racisme ambiant, va tenter de redonner leur dignité à deux prisonniers, l’un noir, l’autre indien, en faisant appels à leurs ancêtres zoulous et apaches. Il y réussira au delà de toute attente. La description de l'ouest du début du XX° siècle, avec ses préjugés, son racisme ordinaire et assumé, sa violence, est, une fois de plus, très sombre mais la fin, délicieusement amorale apporte une petite lueur d'espoir.
Dans le style, l’homme de loi seul, face à la toute puissance des riches, trois exemples :
Duel à Sonora se déroule en 1893, à Sweetmary. La presse est là pour couvrir l'affrontement attendu entre deux vedettes, Brendan Early, ex lieutenant de cavalerie, beau gosse flambeur travaillant pour la compagnie minière Lasalle, et Dana Moon, ancien éclaireur, plus tard administrateur des affaires indiennes, qui défend les apaches, les noirs et les mexicains qui vivent sur les terres que la compagnie veut exploiter. Les deux hommes se connaissent. Ils sont amis, ils sont célèbres, et ont de nombreux morts à leur actif. La presse, déjà friande de sensationnel attend le clash mais … Deux superbes personnages centraux entourés d'une galerie de personnages secondaires passionnants. Derrière cette chronique d'un duel attendu se profile la critique sans merci d'une certaine presse, mais également l'exaltation du métier de journaliste quand il est bien fait, et finalement. Et l'éternelle histoire de la lutte des pauvres et sans grades contre la toute puissance de l'argent, qui achète et corrompt. Des thématiques que l’on retrouve dans le récent Kid de l’Oklahoma.
Plus classique, l’excellent La loi à Randado, où Kirby Frye, shérif tout jeune, peine à se faire respecter face au plus gros éleveur de la ville, et aux citoyens respectables, fortunés et raisonnables, mais aussi très désireux de se faire bien voir par le dit éleveur. Des citoyens qui n’hésitent pas, en l’absence de Kirby, à pendre deux mexicains accusés d’avoir volé du bétail. Remplacez le riche éleveur par le riche industriel, les mexicains par des noirs, le shérif par un flic, déplacez de quelques dizaines d'années et vous avez la trame exacte de bon nombre de polars. A la place, voilà un western sombre et efficace.
Le plus jouissif de cette série est sans conteste Valdez arrive ! Frank Tanner, riche, entouré d'une armée d'hommes de main aurait dû se méfier. Il n'aurait pas dû prendre de haut Bob Valdez, obscur adjoint du shérif du bled local. Il n'aurait pas dû le faire maltraiter par ses hommes quand Bob Valdez est venu, très poliment et très respectueusement, lui demander de réparer les tors fait à une pauvre veuve apache. Où alors, il aurait dû le faire tuer. Parce que maintenant, c'est à Roberto Valdez qu'il va avoir à faire. Roberto Valdez qui a participé aux guerres apaches, qui connaît la région comme sa poche, et qui a laissé de côté, le temps de régler tout ça, le très respectueux Bob. Valdez est un personnage que l'on aime tout de suite, et en plus c'est un héros, un vrai. Alors on ne boudera pas notre plaisir, c'est du grand western comme au cinéma, bigger than life ! Les paysages sont grandioses, les femmes belles, les méchants très méchants, le héros très fort, il défend la veuve, l'orphelin et l'opprimé, et à la fin il gagne, comme Zorro. L’adaptation cinématographique, avec Burt Lancaster en Valdez est toute aussi jubilatoire que le roman.
Coté ciné, en plus de 3 :10 pour Yuma, et Valdez arrive !, il faut également signaler l’excellent Hombre, de Martin Ritt, avec Paul Newman, blanc, élevé chez les apaches, qui malgré le mépris de ceux qui voyagent avec lui dans une diligence est leur seul recours quand celle-ci est attaquée par des bandits. Le ne l’ai pas lu (il est dans la pile), mais le film est excellent, Newman irréprochable, et il m’a un peu fait penser, dans la virulence de sa critique de l’hypocrisie bien pensante, à Boule de suif de Maupassant. Rien moins.
Bibliographie non exhaustive, c’est juste ce que j’ai lu.
Elmore Leonard / Médecine apache (Rivages/noir, 2008).
Elmore Leonard / Valdez arrive ! (Rivages/noir, 2005).
Elmore Leonard / Duel à Sonora (Rivages/noir, 2004).
Elmore Leonard / La loi à Randado (Rivages/noir, 2003).
Elmore Leonard / Le zoulou de l’ouest (Rivages/noir, 2002).
Elmore Leonard / Les chasseurs de prime (Rivages/noir, 2001).