Mai 68 est partout, idéalisé, vilipendé, analysé … Françoise Laurent nous en donne une revisite futuriste et revigorante dans Dolla.
2018, à quelques kilomètres de Nice. Une bande d’amis, anciens de 68, ont recréé une communauté pour éviter de vieillir seuls ou dans un mouroir. La possibilité de continuer à s’engueuler, chanter, et boire ensemble. Mais aujourd’hui le cœur n’y est pas, Dolla, le ciment du groupe est morte sur le billard. Le début d’une véritable hécatombe, décimant papis et mamies les uns après les autres. Jusqu’à ce que Rémi, veuf inconsolable de Dolla, commence à entrevoir une abominable réalité, et sonne la révolte dans un monde déboussolé, livré au capitalisme le plus sauvage, où la religion et les milices privées tiennent le haut du pavé. Cinquante ans après ils reviennent, d’autant plus enragés qu’ils n’ont plus rien à perdre.
Un vrai plaisir de lecture, avec juste deux petits bémols dont je vais me débarrasser tout de suite. Le premier, c’est que le lecteur devine, bien avant les personnages, ce qui est en train de se tramer. Ensuite il est difficile, surtout au début, de se retrouver dans la vingtaine de personnages (membres de la communauté, invités, enfants, neveux, petits enfants …). On se perd un peu dans certaines parentés, et on se demande parfois, en cours de lecture qui est qui. Voilà, c’est pas grave, et c’est évacué.
Pour le reste, ce polar de politique-fiction est excellent. Excellent dans la description de ce que pourrait devenir notre monde. L’auteur regarde notre société, ses errements, et imagine juste ce que cela pourrait devenir en faisant un tout petit pas de plus dans la direction dans laquelle nous engage nos gouvernants. Un tout petit pas de dix ans. Certes on n’en est pas là, mais il suffirait de peu, très peu, pour s’en approcher dangereusement. Excellent également dans sa peinture de « pauv’vieux » qui, s’ils ont perdu la souplesse et l’agilité de leurs 20 ans, n’ont rien perdu de leurs idéaux, de leur capacité d’indignation, ni de leur envie de changer le monde. Ils sont émouvants, agaçants, méchants, généreux, puérils, courageux, lâches, braillards, soiffards, mesquins … Des vrais gens comme on les aime.
Et quel feu d’artifice final. Quel pied pour le lecteur (et certainement pour l’auteur). Certes, il n’est peut-être pas complètement crédible. Mais on s’en fout. L’auteur a tous les droits, surtout celui de se faire (et de nous faire) plaisir. Un grand merci à Françoise Laurent, en espérant vieillir aussi bien que ses personnages.
Françoise Laurent / Dolla (Krakoen, 2008)