« Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. »
Les animaux malades de la peste, Jean de la Fontaine.
Illustration par l’exemple : Les yeux fermés, de Gianrico Carofiglio. Heureusement, il y a Guido Guerrieri.
On pouvait, à la lecture de l’excellent Témoin involontaire de Gianrico Carofiglio se demander si l’on avait là l’auteur d’un seul roman, ou si l’on tenait un nouveau grand nom du polar italien. Avec Les yeux fermés, on sait. On tient un grand.
Malgré un contexte très sombre, qui mêle pédophilie, violences faites aux femmes, et inégalité du système judiciaire italien (grâce à Hannelore Cayre, nous savons que le système judiciaire français, lui, est parfait), Guido arrive à vaincre sa déprime, et à nous faire rire. Gianrico Carofiglio est aussi touchant quand il décrit les souffrances et les doutes de Guido et de ses clients, qu’impitoyable et drôle quand il croque les travers de nos contemporains (et les nôtres par la même occasion).
Il réussit le tour de force de construire un suspense tendu, faisant monter imperceptiblement la tension jusqu’au début du procès, tout en prenant le temps de faire vivre son personnage. Une soirée hilarante chez des bobos new age (l’improvisation d’un Guido bourré sur l’ésotérisme druidique vaut son pesant d’encens), la mélancolie des souvenirs de jeunesse, des déambulations dans une librairie ou chez un disquaire … Autant de scènes, très bien écrites, qui donnent de l’épaisseur et de la vie aux personnages et accrochent le lecteur.
Mais attention, après ces moments de détente, le lecteur s’angoisse de nouveau, tremble, et tourne fébrilement les pages, scotché, pendant les scènes de tribunal, jusqu’au final. Du grand art, au service d’un discours humaniste, et servi par des personnages extraordinaires. Tout pour plaire.
Petit détail. Il n’est pas indispensable d’avoir lu le premier, Témoin involontaire, pour lire celui-ci. Il serait cependant dommage de se priver du plaisir de voir évoluer Guido, et de comprendre certaines allusions.
Gianrico Carofiglio / Les yeux fermés (Ad occhi chiusi, 2003). Rivages/Thriller (2008). Traduit de l’Italien par Claude Sophie Mazéas.