Rencontre avec Pascal Dessaint
Ombres Blanches le 02 avril 2008
A l’occasion de la sortie de
Tu ne verras plus
1° Episode
Comme prévu, la rencontre avec Pascal Dessaint fut dense, longue, et j’ai du mal à trouver du temps pour tout retranscrire. Voici donc la première partie, nous sommes passés ensuite à d’autres sujets, à venir prochainement sur ce blog … Bonne lecture.
Jean-Marc Laherrère : Est-il encore besoin de présenter Pascal Dessaint à Ombres Blanches ? C’est le plus toulousain des auteurs de polars. 12° roman publié chez Rivages, plus un poulpe, deux recueils de nouvelles, un recueil de chroniques, et bientôt un second.
Je ne vais bien entendu pas raconter le roman. Sachez seulement, pour ceux qui ne l’ont pas lu, qu’après avoir quitté Toulouse dans Cruelles Natures, Pascal Dessaint retrouve ici sa ville, et son personnage de flic, Félix Dutrey pour un troisième roman qui lui est consacré.
Je vais commencer par ma question traditionnelle. Quel a été le point de départ de ce roman ?
Pascal Dessaint : Bonsoir. C’est toujours un peu délicat, la manière dont on organise une histoire. Ca vient d’abord d’une envie, celle de retrouver un personnage, Félix, que je n’imaginais pas récurrent à ce point au début. En fait, pour préciser une chose, ce personnage est apparu pour la première fois dans Du bruit sous le silence. Il était à l’époque inspecteur, c’est comme ça qu’on disait encore, avant qu’on change les grades en 98. C’était le seul personnage que j’avais laissé en bon état à la fin du roman. Il n’était plus possible pour moi de réutiliser les autres.
J’étais passé à autre chose, à quelque chose de plus doux et mélancolique, c’était On y va tout droit, et j’avais envie d’écrire une nouvelle histoire criminelle. Qui dit histoire criminelle dit enquêteur, dispositif policier, et comme souvent chez moi, qui suis paresseux, je me suis demandé qui je pouvais réutiliser. J’ai regardé ceux qui me restaient, il n’y avait que lui, qui est assez insignifiant. Ce n’est pas un personnage déterminant dans Du bruit sous le silence, mais je l’ai changé pour écrire le premier volet de ce qui apparaît maintenant comme un cycle avec Mourir n’est peut-être pas la pire des choses.
Pour la petite histoire, et ça c’est la liberté de l’auteur, dans Du bruit sous le silence il ne ressemble pas du tout à ce qu’il est devenu dans Mourir n’est peut-être pas la pire des choses . J’aimais bien son tempérament, mais sinon, il portait des lunettes, il n’en porte plus, et toujours pas de lentilles, mais personne ne me l’a jamais fait remarquer ; il avait un aspect un peu chétif, un peu malheureux, là j’en ai fait quelqu’un de plus déterminé …
Il y a eu Mourir n’est peut-être pas la pire des choses où il n’était qu’une des voix du récit, la quatrième, l’enquêteur par qui progresse l’histoire. Il a pris une plus grande importance dans Loin des humains, et il est devenu de plus en plus fréquentable. Et quand on a un personnage comme ça, on a envie de continuer l’aventure avec lui. Je venais d’écrire des choses plus noires, plus dures, et je savais qu’avec lui je pouvais avoir une ambiance que j’aimais bien écrire dans le cycle des Emile. Et je voulais aussi lui donner la voix entièrement.
Je voulais tenter une autre expérience. J’ai beaucoup fonctionné par structures chorales, ou polyphoniques, et c’est assez fatigant au niveau de l’écriture. Je voulais quelque chose de plus linéaire, de plus détendu.
Puis il y avait pour moi, la nécessité de poursuivre mon cycle sur la nature. Il me fallait trouver un ou des sujets qui me permettent de le remettre en selle, et c’est venu, petit à petit. Le trafic d’espèces rares, la taxidermie, quelques anecdotes puisées dans la vie toulousaines …
Jean-Marc Laherrère : Tu viens de me rendre un très mauvais service, parce qu’en répondant à ma première question, tu as déjà répondu à quelques autres que j’avais prévues ! Je voulais te demander pourquoi tu utilises un personnage récurrent. Petite parenthèse, c’est étonnant comme le polar est une littérature qui utilise les personnages récurrents. Ce qui est rare dans les autres genres. Et justement, il m’avait semblé que tu te rapprochais de l’écriture et de l’ambiance des Emile. Tu creuses un peu plus ce que ressent Félix. Tu es donc bien d’accord avec ça ? C’est bien ce que tu recherchais ?
Pascal Dessaint : Je cherchais une intimité particulière, que j’apprécie. Avant d’être écrivain je suis lecteur, et j’aime bien retrouver les personnages de roman comme des vieux copains. Je ne suis jamais déstabilisé par une suite chez un auteur. Même si cette suite peut parfois sembler plus faible que le premier volet. On retrouve une chaleur, une intimité, et c’est cette intimité que je voulais créer.
Ce que j’apprécie petit à petit avec Félix – je ne sais pas combien d’aventures il y aura avec lui, pour l’instant il n’y en a aucune en train, c’est le sujet qui déterminera son retour – ce que j’aime sur ces trois histoires, c’est sa façon d’évoluer. Ceux qui suivent la série savent pourquoi son état d’esprit est ce qu’il est.
Son état dans Loin des humains est conséquence de son « erreur professionnelle » de Mourir n’est peut-être pas la pire des choses. Et quand on a lu Loin des humains, on comprend pourquoi il n’est pas très bien dans le dernier, et pourquoi il a besoin de consulter un psychologue.
Dans toutes les carrières comme celle-là, très dures, où on est confronté à la mort, il y a un moment donné dans la vie où il y a une rupture. Et j’ai mis Félix en situation de rupture, parce que c’est ce qui nous pend au nez à tous. Il est victime de la folie du monde. Et il va encore évoluer. Certains lecteurs se sont plaints de le trouver dans cet état, un peu perdu, pas très efficace dans son métier. Heureusement, il est bien entouré, par des gens plus efficaces que lui, ça arrive ça aussi dans la vie. Mais là encore rien n’est figé. Quand je le remettrai en scène je lui donnerai sans doute beaucoup plus de tonus. Parce qu’il traverse une crise que j’ai envie de lui voir surmonter. C’est un passage qui correspondait sans doute, dans ma vie, au besoin d’exprimer cette angoisse de vivre lorsqu’on est confronté au quotidien dans ce qu’il a de plus désagréable et de plus violent.
Jean-Marc Laherrère : Quant tu dis qu’il n’est pas bien, c’est vraiment le cas. Je vais citer la première et la dernière phrase du roman. Il commence par : « Je pourrais rentrer un soir chez moi et, sans presque réfléchir, me tirer une balle dans la tête.» Et se conclue par : « - Tu vois, moi, ce que j’aimerais, c’est que tu me laisses me noyer. » La boucle est bouclée, Félix ne va pas bien. Heureusement il n’est pas seul, tu lui a construit une sorte de famille, des collègues dont on suit aussi l’évolution, l’état d’esprit. C’est très bien, c’est très fort, c’est quelque chose que les lecteurs de polars aiment, ces équipes de flics qui sont presque aussi importants que le personnage central.
Pascal Dessaint : Je pense qu’à un moment donné ils vont prendre la parole. C’est une envie que j’ai. Pour ne rien vous cacher, depuis que je taquine le genre polyphonique j’ai un fantasme d’auteur, c’est d’écrire un jour un récit avec un chapitre par personnage. Comme a pu le faire Jim Thompson dans Hallali. Je ne sens pas encore prêt mais c’est vrai que tout le travail que je réalise depuis maintenant six ans avec cette série va dans ce sens là. Petit à petit, apparaissent des personnages comme Marc, comme Magali, qui ont déjà pris la parole dans Loin des humains … Et peut –être un jour Félix n’aura qu’un chapitre.
Ce qui m’intéresse c’est d’avoir des visions différentes sur un même événement. On se regarde l’un l’autre. C’est une chose que j’aime beaucoup. Dans ce dernier roman je n’ai pas voulu céder à la tentation polyphonique, je l’avais fait dans une première version qui n’était pas réussie. On voit donc Marc via le regard de Félix. Félix qui n’est pas bien. A la limite on peut se dire que il va mieux en voyant son copain qui est encore plus mal ! Ce qui serait intéressant, et ce que j’ai déjà fait dans d’autres livres, c’est le point de vue de Marc. Parce qu’est-ce qu’il voit Marc quand il voit Félix dont il connaît l’état dépressif dont il croit être sorti ?
Ce serait peut-être une histoire un peu curieuse, peut-être pour conclure la série.
Jean-Marc Laherrère : Tu t’es recentré sur Félix, mais tu t’es aussi recentré sur Toulouse. Cruelles natures se déroulait ailleurs. Les deux romans précédents étaient partagés entre Toulouse et un ailleurs plus ou moins lointain. Tu reviens, et, comme toujours dans tes romans, on découvre de nouveaux quartiers que tu n’avais pas encore explorés, du moins littérairement. Tu avais envie de revenir sur tes bases ?
Pascal Dessaint : Je me suis aperçu l’autre jour que depuis Du bruit sous le silence, c’est le premier retour à 100 % sur Toulouse. Il s’est écoulé 10 ans où mes personnages sont allés ailleurs. J’avais envie de revenir. Et puis petit à petit, on accumule de la documentation. Je lis les journaux, je suis friand de faits divers, et j’avais recueillis ces petits faits qui me semblent refléter l’esprit d’une époque.
La ville de Toulouse que j’ai connue et que j’ai mise en scène dans mes premiers livres a changé. Par sa géographie, par son état d’esprit. Puis je voulais saisir Toulouse avant l’ère Sarkozy. Il est déjà là en tant que ministre de l’Intérieur, mais il n’est pas président. Après on ne sait jamais …
J’ai réuni des choses, des petits faits qui n’avaient l’air de rien. J’en invente bien sûr, l’auteur a le droit d’inventer de temps en temps ! Mais il y a des choses vraies. Ces gens qui manifestent contre la consommation de viande en s’exposant sous cellophane, c’est arrivé Place du Capitole à Toulouse. Les dégonfleurs de 4x4, je ne les ai pas inventés non plus. Ca rend l’esprit d’une ville, et j’avais envie de nouveau de prendre du temps avec Toulouse.
Pour les quartiers, c’est le quartier Soupetard qui m’a donné envie. C’est un quartier extrêmement singulier. J’avais envie d’en parler.
Public : Ca veut dire que tu vas dans le quartier, tu t’y balades ?
Pascal Dessaint : Oui, pour Soupetard plusieurs jours. Et puis il y a le hasard. Il se trouve que je vais au Salon de Balma en métro et en bus, et que justement le bus passe par ce quartier. Ensuite on y est allé se promener en famille. Il y a ces anciennes maisons de cheminots avec des clôtures en ciment ajouré. Des maisons avec de beaux mimosas. Elles sont pour la plupart détruite maintenant, c’est dommage. Ca donne envie de les décrire, avec leurs jardins potagers, de petites maisons de métayers. Et je n’avais jamais raconté ce quartier qui est de l’autre côté de la colline.
Et donc, balade, l’appareil photo, j’y vais, je m’imprègne. La rue que je décris n’existe pas par contre. C’est aussi la liberté de l’auteur. J’ai fait comme dans Loin des humains, pour ne pas avoir d’ennuis, pour ne pas que les gens se disent « mais alors c’est chez qui ? ». J’invente la rue, qui n’a pas de nom. Ca donne au lecteur la liberté de se l’inventer.
Pour conclure sur les personnages récurrents. Le livre est plutôt bien accueilli, et j’avais peur que ce ne soit pas le cas à cause de sa structure linéaire. Mais les gens aiment les personnages récurrents. Le dernier Félix est de 2005, et beaucoup de gens m’ont dit leur plaisir de le retrouver. Comme un vieux copain. Et ça fait plaisir. Particulièrement que ça vienne avant l’histoire. Ca crée un bel échange avec les lecteurs. On est content de raconter des histoires quand on c’est comme ça.
Bon dans l’état où je l’ai laissé, je n’ai pas très envie de le réécrire !
Jean-Marc Laherrère : Une petite dernière sur Félix, et sur son rapport avec son créateur. On dirait parfois qu’il regrette un peu de ne plus avoir (ou de n’avoir jamais eu) l’envie, la motivation et la force d’agir comme Rozenn, ton personnage de militante écologiste radicale. Je me demandais si c’était aussi ton sentiment ou si c’était propre à Félix.
Pascal Dessaint : Si on avait le don d’ubiquité ! C’est vrai que parfois on se dit qu’on serait plus utile ailleurs ou autrement. J’ai débuté comme naturaliste ornithologue, puis j’ai fait des mathématiques avec l’espoir d’être vétérinaire, et la littérature est arrivée là-dessus. J’ai rencontré, en tant que lecteur s’entend, des auteurs qui m’ont donné envie d’écrire, et pour arriver à en vivre il a fallu déployer une énergie incroyable qui m’a pendant un temps écarté de mes premiers rêves.
La réalité étant ce qu’elle est, je peux, aujourd’hui, mettre ma plume, ou mon ordinateur, au service de la cause verte. Je le fais à travers ce cycle, dans des chroniques, et quand je le peux par des actions. Par contre, oui, j’aurais bien aimé être guide de haute montagne, j’aurais bien aimé … Mais je participe à ça un petit peu.
C’est vrai que Félix se pose des questions comme ça. On est tous à se poser ces questions. On ne sait pas si notre vie est celle qu’on souhaitait, qui nous aurait le plus rempli. Ce livre pose beaucoup cette question. C’est le livre de gens qui arrivent à des ages où on se demande si on est bien à sa place. Félix, c’est la question qu’il se pose. Il n’est pas fait pour être flic. Et pourtant il est dedans. Et comme beaucoup d’entre nous, quand on est dedans, il faut continuer, parce qu’il faut vivre, et parce que ce n’est pas facile de changer.
J’ai reçu ce matin le message d’un lecteur. Il me demande si Félix n’allait pas faire autre chose. Mais il est un peu jeune pour la retraite. Il puis il faut avoir du courage pour changer.
Suite prochainement …