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16 avril 2008 3 16 /04 /avril /2008 21:20

Une petite précision. Je ne sais pas si Filles Perdues d’Alan Moore et Melinda Gebbie est érotique ou pornographique. Si ce qui différencie l’un de l’autre est le talent et l’absence de vulgarité, il est sans conteste érotique. Si c’est le caractère explicite ou suggéré des scènes dessinées et écrites, il est pornographique.

 

 

 

Ce que je sais par contre, c’est qu’il est interdit aux mineurs et vendu sous plastique, qu’il est peu probable que La Croix le conseille à ses lecteurs, qu’il sera sans doute condamné par tous les empêcheurs de baiser hors des liens sacrés du mariage, et/ou hors du trou qui sert à faire des enfants (ce qui ne les empêchera sans doute pas de la lire en cachette), et qu’il est génial.

 

Tout le monde connaît Alice, Wendy et Dorothée. Plus ou moins, tout le monde les connaît. Vous aussi. Alice, est celle du Pays des merveilles ; Wendy la copine de Peter Pan ; Dorothée vient du Kansas, et a fait un fabuleux voyage au pays du Magicien d’Oz. C’est du moins ce que l’on nous a toujours dit. Mais Alan Moore raconte une toute autre histoire. A la veille de la première guerre mondiale, elles se retrouvent, par hasard, dans un hôtel luxueux et décadent quelque part en

Autriche. Au premier regard elles se reconnaissent, devinent les mêmes secrets, les mêmes plaisirs et les mêmes traumatismes. Alors elles se rencontrent, s’aiment et se racontent, sous la houlette d’Alice, la plus expérimentée, la plus âgée, la plus entreprenante. Chacune à son tour dira, peu à peu, l’histoire de son éveil à la sexualité, avec ses joies, ses plaisirs, ses hontes, ses drames.

 

Comme toujours avec les BD d’Alan Moore, c’est pour lui que j’ai acheté Filles Perdues, pas pour la dessinatrice. Mais comme toujours, elle est très bien choisie par le maître, et le dessin colle parfaitement au propos. Alan Moore est un génie, il transforme en chef-d’oeuvre tout ce qu’il touche : Les histoires de super-héros avec les Watchmen (traduit par un certain Manchette), Jack l’éventreur avec From Hell, il recycle de façon époustouflante la littérature populaire du XIX° et début XX° avec La ligue des gentlemen extraordinaires, mixe les supers-héros et la littérature policière procédurale à la McBain dans Top Ten, écrit un magistral appel à la lutte contre le totalitarisme et a connerie dans V, pour Vendetta

 

Il s’est attaqué ici à la fois à la littérature érotique/pornographique et à la littérature enfantine, dans un mélange jubilatoire. Sa façon de transposer les aventures et les personnages des trois histoires est … géniale (je sais le terme est galvaudé, et finalement peu explicite, mais que dire d’autre : originale, excitante, étonnante et en même temps tellement juste ?). Au plaisir de l’histoire simplement dite s’ajoute celui, très satisfaisant pour l’ego du lecteur, de se rendre compte que l’auteur suppose chez ledit lecteur une certaine culture et une certaine intelligence, et les met à contribution. Très satisfaisant pour l’ego vous dis-je. Inutile de préciser qu’Alice, Wendy et Dorothée n’ont plus grand-chose à voir avec l’imaginaire Dysneyien ? Vous l’aviez compris.

 

Moore étant Moore, si le début de l’album est plutôt rose, il va peu à peu vers le noir, le sombre, le rouge sang. L’éblouissement de la découverte de la sexualité, uniquement source de joie, tourne petit à petit au drame, avec l’arrivée des désillusions, de la dépendance, de la prise de conscience d’une certaine aliénation, ou de son exploitation commerciale. Avant que nos trois héroïnes ne se réconcilient finalement avec elles-mêmes, au moment où l’Europe plonge dans l’horreur (je rappelle que nous sommes en 14).

Le résultat est intelligent, excitant, bandant (ben oui, aussi), émouvant, éprouvant, déstabilisant … passionnant.

Melinda Gebbie et Alan Moore / Filles perdues (Lost girls)  Delcourt (2008).

PS. Via les moteurs de recherche, ce billet va certainement faire atterrir sur mon blog des internautes à la recherche de tout autre chose. C’est plutôt rigolo, et ça ne fera de mal à personne. Bonjour à vous, profitez-en pour faire un tour, et qui sait, trouver des idées de lecture.

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commentaires

U
Mon libraire en avait un d'ouvert que j'ai pu feuilleter ; j'ai été très déçue par les grands aplats de couleurs, cela ne me plaisait guère. Bref peut être que je ne lui ai pas vraiment laissé sa chance. <br /> Par contre je suis tout à fait convaincue par V pour Vendetta.
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J
<br /> Je trouve que c'est souvent le cas avec Moore. Mon premier réflexe, en voyant les dessins de V et des Watchmen avait été de refermer la BD ... Et pourtant !<br /> <br /> <br />
M
Je le note, tout dépend du dessin vu que le scénario est très tentant
Répondre
J
<br /> Le dessin ne sera peut-être pas facile à juger, l'album étant vendu sous plastique, pour que les têtes blondes ne l'ouvrent pas par erreur.<br /> Ceci dit, avec Moore, il faut se méfier de la première impression, j'ai refermé V pour vendetta et les Watchmen au premier coup d'oeil, pas convaincu par le dessin justement, avant d'écouter des<br /> conseils avisés et de finir scotché par ces deux monuments (les deux meilleurs de Moore à mon avis).<br /> <br /> <br />

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  • : Il sera essentiellement question de polars, mais pas seulement. Cinéma, BD, musique et coups de gueule pourront s'inviter. Jean-Marc Laherrère
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