Rencontre avec Pascal Dessaint
Ombres Blanches le 02 avril 2008
A l’occasion de la sortie de
Tu ne verras plus
2° Episode
Suite donc de la rencontre, il restera un troisième épisode, à venir prochainement … Bonne lecture.
Jean-Marc Laherrère : On parlait d’engagement. Il me semble qu’avec ce roman tu continues une œuvre que je qualifierais de militante. Je me souviens qu’il y a quelques années, lors de la parution de Mourir n’est peut-être pas la pire des choses, j’avais posé une question dans ce sens, et dans le public quelqu’un m’avait repris en disant que ce n’était pas un livre militant, comme si l’adjectif était une critique. Mais je persiste, on peut avoir un intention militante sans pour autant oublier de faire de la littérature. Qu’en penses-tu ?
Pascal Dessaint : Oui, oui, je suis d’accord. Bien entendu, c’est un roman. Je m’autorise dans mes chroniques (Un drap sur le Kilimandjaro), des choses que je ne peux pas m’autoriser dans un roman. Il faut respecter son lecteur. Dans mes romans, mes personnages ont le droit d’avoir des opinions mais pas moi. Moi je suis le metteur en scène. Evidemment, au détour d’une scène, le lecteur sait de quel bord je suis, c’est transparent. Mais il faut avoir beaucoup de retenue. Parce que le lecteur ne doit pas avoir l’impression qu’on lui impose une opinion. Pour cela, il faut faire autre chose, écrire un essai ou un pamphlet, mais pas un roman.
Et ça m’oblige à aborder les choses sans angélisme. Par exemple, certains militants écologistes que je décris dans Mourir n’est peut-être pas la pire des choses ne sont pas sympathiques. Ce sont des extrémistes qui n’ont pas forcément ma sympathie. Donc je suis critique, mais le propos d’ensemble, il me semble, sert la cause écologiste. Parce qu’il est question du danger que nous faisons porter sur la planète, de notre responsabilité à tous, du respect. L’idée que j’essaie de pousser c’est celle du respect, celui des gens qu’on a autour de soi, et celui de la vie. Je mets au centre de tout cela l’humain, qui se croit dominant, au-dessus de la nature, et qui finit par se mettre lui-même en danger par cette attitude.
J’essaie en évitant le prêchi-prêcha, de donner cette idée que par beaucoup de respect on peut améliorer les choses. Si ça c’est de la politique, oui, je revendique d’écrire des romans politiques. Et ça fait du bien ! Mes colères passent là-dedans aussi.
Mais c’est toujours un peu délicat, il faut éviter de fâcher les gens. En ce moment je m’en prends beaucoup aux 4x4, mais il y a peut-être des gens bien qui roulent en 4x4 …
Public : C’est le premier livre que je lis de Pascal Dessaint. Je suis militante verte. Et je suis très surprise de la façon dont je me suis réinterrogée suite à cette lecture. Il nous renvoie à notre propre responsabilité, il nous renvoie à la modestie et à l’humilité que l’on devrait avoir face à l’immensité de la tâche, et face à ces personnages. J’ai beaucoup appris grâce à ce personnage récurrent. Je me suis interrogée sur l’action militante, et je suis tout à fait d’accord avec ce qui vient d’être dit, les militants ne sont pas toujours sympathiques, et c’est bien là l’un des problèmes.
Jean-Marc Laherrère : Je voudrais revenir sur la préparation et l’écriture. Tes romans sonnent juste. On a l’impression que ce que tu décris du quotidien des flics est vrai. Comment travailles-tu ? As-tu des informateurs ?
Pascal Dessaint : Oui j’ai quelques personnes qui à l’occasion peuvent me renseigner. Le roman, même si c’est un polar qui doit rendre compte de situations réalistes doit s’autoriser de grandes libertés. Mais sur certains points, il faut être rigoureux. Le lecteur est devenu exigent. Il n’accepte plus que l’on confonde revolver et pistolet. On voit encore beaucoup ça dans les séries télévisées qui sont écrites à la va vite.
L’autre jour en zappant j’ai vu une scène de crime, où le flic prend le portable de la victime et commence à interroger le répertoire. Non ! On ne peut plus s’autoriser ça. Il y a un service précis, avec des logiciels extrêmement élaborés, auquel sont soumis les portables recueillis sur une scène de crime. Où ils sont décortiqués et étudiés. C’est une information en libre accès.
Si j’ai un portable sur une scène de crime, je sais qu’on procède de cette manière. Par contre je ne sais pas ce que l’on fait ensuite. Alors je m’en remets à une personne compétente qui va m’expliquer comment on va faire. Ensuite, avec cette information, il faut éviter d’être trop fastidieux et de lasser le lecteur.
J’en reviens à une anecdote qui concerne Loin des humains. Il y avait une scène de crime, un tapis de ronces où l’on découvre un mort. La police scientifique arrive et trouve des fibres de vêtements. Mes personnages, très délicatement, recueillent des fibres, et lorsque j’écris la phrase, je dis qu’untel met les fibres dans un sachet plastique. C’est comme si je faisais le geste, et quelque chose me gène, sans que je sache quoi. Je m’en suis remis à une personne compétente qui m’a dit qu’effectivement, c’est une pièce à conviction qui peut s’altérer rapidement (humidité, moisissure) et donc on ne la met pas dans un sachet plastique, mais dans une enveloppe en papier. Ca parait ridicule. Mais quand le lecteur lit ça, il se dit que l’auteur sait de quoi il parle.
De la même façon, je n’ai jamais assisté à une autopsie, je ne veux pas. Mais je me suis fait raconter les choses en long, en large et en travers. Et mes scènes d’autopsie sont assez réalistes pour cela.
Je raconte une autre anecdote, à propos d’un informateur qui m’a beaucoup aidé pour ce livre. J’avais des points de détail à éclaircir et on s’était donné rendez-vous. Il se trouve que ce week-end là, il a eu à traiter deux affaires monstrueuses à Toulouse. L’une c’était un crime de masse à Balma, l’autre dans le Lauragais. C’était épouvantable, et il avait dû assister aux autopsies tout le week-end.
Le lundi, il me raconte la situation et je lui propose de repousser. Il refuse, et on se voit. J’ai vu arriver quelqu’un très tendu ! Il m’a amené les réponses à mes questions. Mais il m’a aussi ramené un tempérament. A un moment donné je lui ai demandé s’il avait un soutient psychologique. Il m’a dit non. Ce qui l’avait le plus énervé, c’est qu’en rentrant au poste il s’était fait engueuler par son supérieur parce qu’il n’avait pas mis la ceinture. Après ce qu’il venait de vivre. Je l’ai mis dans le bouquin, et je ne l’ai pas inventé. Mais ça donne de l’humanité, de la vie et de la vraisemblance à mes personnages.
Jean-Marc Laherrère : C’est vrai que, même quand le lecteur n’est pas au courant de la réalité, ces petits détails concourent à la crédibilité de l’ensemble.
Pascal Dessaint : Bon, je ne suis pas toujours aussi rigoureux. Mais si le cadre est réaliste, on peut se permettre plus de choses.
Jean-Marc Laherrère : On sent bien ton encrage dans la police, et en particulier dans la police toulousaine, grâce à quelques allusions, dont une à l’affaire Allègre, incontournable, qui pointe son nez. Je me demandais si tu envisageais, un jour, d’écrire sur cette affaire ?
Pascal Dessaint : Non jamais. D’une part il faut avoir beaucoup de recul. Pourtant cela aurait été parfait. Structure polyphonique obligée, deux affaires, j’ai été au plus près, je connais même certains enquêteurs qui pourraient me fournir une matière première rare. Mais je ne peux pas écrire sur les tueurs en série. Je ne supporterais pas. Je ne me vois pas passer deux ou trois ans de ma vis avec une telle personnalité. Ce n’est pas que je tende vers les petites fleurs et les petits oiseaux, mais il y a des limites. Il y a des choses que je ne supporte pas. Donc c’est non, et ce sera toujours non.
Jean-Marc Laherrère : Une autre chose qui impressionne dans ton écriture, c’est la précision de ton vocabulaire. Quand traite un sujet, on trouve toujours des mots que l’on ne connaissait pas. Ici il y a bien sûr la taxidermie, mais également quelques passages sur les péniches où on découvre pas mal de mots. Est-ce que tu fais beaucoup de recherches.
Pascal Dessaint : Oui je fais des recherches. Mais il y a des péniches au bord du Canal du Midi. Je suis allé les regarder, me suis demandé comment j’allais les raconter, j’ai saisi l’ambiance, et par hasard, à côté d’une péniche, il y avait un plan, avec les détails et les noms. J’ai commencé à noter. Et un copain connaissait quelqu’un qui avait vécu sur une péniche et écrit deux livres. Donc je les ai lu, j’ai pris le vocabulaire, et j’ai appris à m’en servir. Parce que le temps de l’écriture il faut maîtriser ce vocabulaire nouveau. Et ça ouvre des perspectives au niveau des phrases, de leur cadence, de leur rythme.
C’est vrai que c’est intéressant. La part de la documentation est de plus en plus importante dans mon travail, et de plus en plus excitante. Peut-être parce que je vais de plus en plus vers des sujets bizarres, ce qui me fait rencontrer des gens bizarres, et un nouveau vocabulaire arrive à chaque fois.
Public : J’étais persuadée que vous aviez vécu sur une péniche. Et que vous connaissiez la moitié de flics de Toulouse.
Pascal Dessaint : Alors c’est que j’ai réussi mon coup ! Vous savez ce qui est bien avec l’écriture c’est qu’on peut de temps en temps s’inventer des vies. C’est vrai que pendant que j’écrivais cette histoire de Félix, je n’étais pas loin de croire que je vivais moi aussi sur une péniche. Et plusieurs fois je suis allé sur le Canal du Midi.
Les pénichards ont un état d’esprit assez fermé. Ca ce comprend pour les raisons que j’explique dans le livre. Ils vivent sous le regard des autres, qui passent sous leur nez. C’est un peu comme être dans une maison de verre. Ca les rend méfiants. Alors le contact n’est pas aisé. Mais je n’ai jamais mis les pieds sur une péniche à Toulouse. Donc il faut inventer. Et il faut arriver à ce que lecteur pense comme vous.
Si au milieu du chapitre j’ai l’impression d’être sur une péniche, vous l’aurez aussi. Sinon c’est que j’ai raté mon coup. Ca arrive. C’est pour ça que je n’ai jamais situé l’action sur un yacht ou même un voilier. Ce n’est pas mon milieu ni ma culture.
Je peux parler des usines, parce que ça a été mon quotidien dans mon enfance, mais il y a des choses que je ne connais pas du tout. Ca viendra peut-être.
Jean-Marc Laherrère : Une dernière question sur le roman, avant de parler d’autres choses. Il y a une chose qui est présente dans tous tes livres, c’est le poids de l’amitié. Ici aussi, il y a une chose sur laquelle on ne transige pas, si un ami est dans la merde, pour dire les choses clairement, on essaie de l’en sortir. C’est une valeur centrale chez toi.
Pascal Dessaint : Oui, c’est le reflet de ce en quoi je crois. Je ne crois pas en Dieu mais je crois en l’amitié. Mes personnages aussi. La relation précieuse qu’on a avec quelqu’un, c’est quelque chose qui passe avant tout. Dans le livre Marc peut tout demander à Félix. Même au risque de mordre la ligne. C’est effectivement une valeur avec laquelle on ne transige pas.
Suite et fin prochainement …