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16 août 2008 6 16 /08 /août /2008 23:32

J’ai découvert Emilio Salgari grâce au grand Paco Ignacio Taibo II qui reprend le personnage de Sandokan dans A quatre mains, et le fait venir au secours de son « héros » dans Le rendez-vous des héros. J’avais ensuite trouvé deux épisodes des aventures du Tigre de Malaisie en espagnol, dans la bibliothèque de ma belle-famille en Argentine. De toute évidence, l’Alexandre Dumas italien était beaucoup plus populaire pour le public hispanophone que pour le public francophone, qui ne connaissait, au mieux, que la série et les dessins animés très librement adaptés des aventures de Sandokan.

Et ne voilà-t’y pas que je m’aperçois que la collection bouquins a sorti un volume rassemblant quatre romans sous le titre : Le corsaire noir et autres romans exotiques. Je l’achetais bien évidemment, et non moins évidemment, le stockais ensuite dans le trou sans fond de la pile des romans à lire quand j’aurais le temps.

Ce temps, je viens de le prendre, pour lire les deux premiers romans du recueil, Les mystères de la jungle noire, et le premier de la série du Tigre de Malaisie, l’invincible Sandokan : Les tigres de Mompracem.

Autant avertir d’emblée le lecteur du XXI siècle. Le style n’est pas moderne. Jugez plutôt :

« - Marianne ! Marianne ! Jeune fille divine ! Ô mon amour ! s’écria-t-il en courant de plus en plus vite. Ne crains plus rien maintenant, je suis près de toi.

En ce moment, le formidable pirate eût renversé un régiment entier, afin d’arriver à la villa. Il n’avait peur de personne.

La mort même ne l’aurait pas fait reculer.

Il haletait. Un feu violent l’envahissait, lui brûlait le cœur et le cerveau. Il était agité de mille craintes. Il craignait d’arriver trop tard, de ne plus retrouver la femme aimée d’un si violent amour, et courait de plus en plus fort, oublient toute prudence, brisant et arrachant les branches des arbres, déchirant impétueusement les lianes, sautant avec des bonds de lion les mille obstacles qui lui barraient la route. »

Alors si vous êtes définitivement réfractaires au charme de l’ancien, vous pouvez passer votre chemin.

Les autres peuvent continuer.

 

Le premier roman a pour théâtre : « Le Gange, ce fleuve fameux, célébré par les Hindous anciens […] se divise, à deux cent vingt milles de la mer, en deux bras et forme un delta gigantesque, enchevêtré, merveilleux et unique […]

L’imposante masse de ses eaux se divise, se subdivise en une foule de petits fleuves, de canaux et de marigots qui envahissent en tous les sens l’immense étendue des terres enserrées entre l’Hougli, le vrai Gange et le golfe du Bengale. De là, une infinité d’îles, d’îlots, de bancs qui, aux abords de la mer, prennent le nom de Sunderbunds. »

S’y déroule l’affrontement impitoyable entre Tremal-Naik, le chasseur de serpent, accompagné de ses fidèles amis et de son tigre Darma, et une secte d’étrangleurs, adorateurs de Kali. L’enjeu en est Ada, jeune anglaise enlevée par les affreux qui en ont fait leur prêtresse, et dont l’intrépide chasseur est tombé éperdument amoureux. Les péripéties seront, vous en en doutez bien, nombreuses. Les proches de Tremal-Naik tomberont comme des mouches, mais il finira par enlever sa bien aimée, sans pouvoir empêcher néanmoins que le chef des étrangleurs leur échappe et :

« ils entendirent la voix du terrible Suyodhana qui leur disait :

- Allez ! … Nous nous reverrons dans la jungle. »

D’une tonalité très sombre, comme les étrangleurs et les souterrains dont ils ont fait leur repère, ce premier roman frappe par sa violence (de nombreux gentils » finissent très mal) et son refus d’un trop grand manichéisme : Certes les étrangleurs sont des affreux, mais les héros de leur côtés ne sont pas des gentlemen, et sont près à tout, même à sacrifier des innocents, pour arriver à leurs fins. Etonnants également, cette fin très ouverte et finalement assez pessimiste, et surtout le fait de prendre pour personnage principal un Hindou, véritable héros du roman, bien supérieur aux anglais qu’il croise sur sa route.

 

Les Tigres de Mompracem reprend un peu la même trame dans un autre contexte. Sandokan le Tigre de Malaisie, chef des pirates qui ont fait de l’île de Mompracrem leur refuge, est le cauchemar des colonisateurs anglais qu’il attaque sans relâche. Pour son malheur, il tombe amoureux fou de Marianne, nièce d’un lord installé sur l’île de Labuan. Un lord qui a juré d’avoir sa peau. Là aussi, après des péripéties rocambolesques, Sandokan pourra partir avec sa douce, non sans devoir pour cela renoncer définitivement à son île et à ses fidèles tigres :

« Il tourna deux fois sur lui-même, puis il tomba dans les bras de sa Marianne adorée. Et cet homme, qui n’avait jamais pleuré de sa vie, éclata en sanglots en murmurant :

Le Tigre est mort et pour toujours ! »

Encore un roman épique mais très sombre, plein de bruit, de sang et de fureur, dominé par la figure charismatique et étonnante de Sandokan. A la fois chevaleresque et sanguinaire, romantique et bestial, capable de laisser la vie sauve à un brave, comme de torturer un ennemi, grand pourfendeur des forts et des colonisateurs qu’il hait avec véhémence, et surtout, prêt à tout pour conquérir son amour.

Un personnage qui ne pouvait qu’inspirer Paco Ignacio Taibo II tant pour lui il est bien plus important de se battre que de vaincre, une bataille perdue d’avance n’en étant que plus belle, à partir du moment où elle permet de rester fidèle à ses valeurs. Un personnage pour qui la révolte, la rébellion contre un ennemi a priori imbattable est devenu un mode de vie.

Un personnage également très fajardien, dans son romantisme, sa fidélité, la force de son amour fou pour sa belle, et sa capacité à renverser les obstacles les plus insurmontables pour l’arracher des griffes de l’ennemi.

A ce propos, si Jérôme ou Bastien passent par ce blog, Fajardie fut-il un lecteur de Salgari ?

Ce sera tout. A suivre dans le recueil de Bouquins : Le corsaire noir et La Reine des Caraïbes. Mais ce sera pour une autre fois, il va falloir se remettre au boulot, et attaquer la rentrée littéraire.

 

Vous pourrez trouver là un beau site consacré à Emilio Salgari.

 

Emilio Salgari / Les mystères de la jungle noire (I misteri della jungla nera, 1895), Traduction de l’italien par Jean de Casamassimi. Les tigres de Mompracem (Le tigri di Mompracem, 1901), Traduction de l’italien parEdouard Guénoud.

Dans Le corsaire noir et autres romans exotiques, Robert Laffont/Bouquins (2002)

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commentaires

M
Heureuse de voir Salgari enfin reconnu et ce Bouquins recevoir les éloges qu'il mérite! J'adore Salgari depuis que je suis gamine. Ne pas oublier de passer ce virus à nos enfants. Leur lire le soir les aventures de Sandokan... un plaisir partagé!
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K
Je sens que j'adore ce style kitschissime découvert dans les passages ... je ne connaissais absolument pas cet auteur !
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J
<br /> C'est vrai qu'il est très peu connu en France. Une lacune à combler.<br /> <br /> <br />

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