De Thomas H. Cook, je n’avais lu que Les rues de feu, magnifique évocation, au travers du polar, d’un moment historique primordial de l’histoire américaine : la lutte des noirs pour leurs droits, et la résistance acharnée des blancs. Son nouveau roman traduit, Les feuilles mortes, est d’un tout autre genre.
Eric, Meredith et leur fils Keith, quinze ans, mènent une vie sans histoires dans une petite ville américaine sans histoires. Jusqu’au soir où Keith va garder Amy, huit ans. Le lendemain matin, Amy a disparu. Rapidement Keith est interrogé. Et comme cet adolescent mal dans sa peau se défend mal, il devient suspect. Eric se met à douter, de son fils, de son couple, mais également de lui-même et de son histoire familiale. La rumeur et la pression de toute une ville vont rapidement avoir raison d’une famille en apparence unie …
Un point de départ ultra classique : la disparition d’une enfant. La suite l’est moins. Thomas H. Cook ne se place pas du point de vue de l’enquêteur (parent, proche, flic, privé …) chargé de retrouver la petite (morte ou vive), et le coupable. Il ne se place même pas du point de vue de la personne accusée, qu’elle soit coupable ou innocente. Non, son narrateur est le père de l’accusé, et le roman est la description du processus de destruction de la cellule familiale et de la plongée en enfer de ses membres.
Dès l’entrée en matière, il ne laisse aucun espoir, la famille a explosé. L’intérêt est, peu à peu, de voir comment, pourquoi, et jusqu’à quel point. Le suspense est double, car l’auteur nous fait complètement partager le point de vue du narrateur : Son fils est-il ou non coupable ? Quand et comment la destruction annoncée de la famille va-t-elle se produire ?
Le récit est mené de main de maître. Le lecteur fait corps avec le narrateur, partage ses doutes, ses révoltes, et surtout son angoisse, montante, débordante, affolante. C’est toute la force de ce roman poignant, qui, avec des personnages ordinaires, et un fin annoncée, arrive encore à passionner et même à surprendre. Et bien entendu à interroger. Car le lecteur ne peut s’empêcher de se demander comment il réagirait à la place de ce personnage qui nous ressemble tant : un père ordinaire qui se lève tout les jours pour faire un boulot ordinaire, qui est en conflit assez classique avec un fils de 15 ans qui, bien entendu, n’est pas comme il le voudrait.
Un nouveau roman qui prouve, magistralement, que l’auteur est aussi à l’aise et aussi passionnant quand il radiographie la famille que quand il explore l’histoire. La marque d’un grand.
Thomas H. Cook, Les feuilles mortes, (Red leaves, 2005) Série Noire (2008). Traduction de l’américain L