L’info est tombée hier soir et a rapidement circulée parmi les amateurs de polars. Elle est aussi présente de l’autre côté de l’Atlantique, entre autres sur le blog de Sarah Weinman. Gregory McDonald est mort dimanche dernier à l’âge de 71 ans.
Aux US, il est surtout connu pour la série consacrée à Fletch, un journaliste enquêteur.
En France c’est son roman The Brave, publié soit sous ce titre, soit sous celui de Raphaël derniers jours qui est devenu un roman culte parmi les amateurs de noir très très noir … c’est certainement le roman qui m’a le plus secoué, le seul qui m’ait réellement fait passer une mauvaise nuit.
Raphaël est américain, jeune, pauvre et alcoolique. Raphaël vit dans un bidonville. Raphaël n’a aucun avenir. Mais ce vendredi Raphaël est heureux, parce qu’il a trouvé un boulot. Un boulot temporaire, un boulot difficile, mais un boulot pour lequel on lui donne une avance qui lui permet de rapporter un peu d’argent chez lui, de payer une robe à sa femme, de la viande à ses enfants, et quelques bières à ses potes. Et lundi, Raphaël ira bosser.
Ce boulot ? Raphaël va se faire torturer, massacrer, puis achever sous l’objectif d’une caméra. Le film sera vendu très cher. Et après sa mort, on lui a promis que sa femme touchera la totalité de son salaire. Et Raphaël qui ne sait pas lire, et fait confiance à ceux qui savent, n’a aucune raison de ne pas le croire …
Rien que de repenser à ce bouquin, d’écrire ce billet, j’ai de nouveau la gorge serrée et la chair de poule. Pas de doute, c’est un roman éprouvant, très éprouvant. Non pas seulement à cause de son chapitre trois, dans lequel l’employeur décrit à l’employé ce qu’on va lui faire, dans le détail. Non, cela c’est dur, mais on a vu l’équivalent, ou pire, dans nombre de polars dont certains sont oubliés à peine refermés. Non ce qui est dur, c’est la suite, le récit des trois jours de bonheur et même de paix qui vont suivre.
Parce que le lecteur sait ce qu’ils coûtent, et parce qu’il est inconcevable, atroce d’accepter que ce jeune homme, que l’on voit si heureux de faire plaisir aux siens, le fasse à ce prix. Parce qu’il est inacceptable qu’il puisse avoir de gens arrivés à une telle extrémité que leur vie, à leur propres yeux, ne vaut pas plus que quelques centaines de dollars, et la possibilité de trois jours de bonheur.
Je sais, c’est une fiction. Mais elle sonne salement vrai. Et, même si la formule est éculée, et souvent putassière, elle trouve ici tout son sens : On ne sort pas indemne de la lecture de ce roman. J’ai eu, tout au long des pages, l’envie, le besoin, réellement physique de rentrer dans les pages, et d’aller secouer Raphaël pour qu’il n’y aille pas, à son boulot. Jamais je n’ai ressenti avec autant d’intensité l’impuissance du lecteur. Elle est parfois jouissive, agréable, excitante. Là, elle est douloureuse.
Voilà, je ne suis pas certain de vous avoir donné envie de lire The Brave, mais la nouvelle m’a frappé ce matin, il fallait que j’en parle …