Je vais faire une chose que je ne fais jamais d’habitude, reprendre, intégralement, le résumé de la quatrième de couverture. Parce que c’est ça que vous lirez si vous décidez de vous lancer dans Manhattan Grand-Angle de Shannon Burke et que, bien que tout à fait exact, ce résumé ne prépare absolument pas à ce que vous allez découvrir.
« New York, 1990. Frank Verbeckas travaille comme infirmier de nuit. Son quotidien est une éternelle plongée dans la misère humaine et le chaos urbain d’un Manhattan à bout de souffle où le chômage et le crack se sont taillés la part belle de la Grosse Pomme.
Mais Frank n’est pas qu’un simple infirmier, il est aussi photographe à ses heures. L’œil dans le viseur, il traque l’humanité abîmée qui se dévoile devant lui. Les laissés-pour-compte de tout poil, blessés ou morts, sont ses sujets de prédilection.
Un soir, au détour d’une intervention mouvementée, Frank va croiser la route d’Emily, une jeune escrimeuse séropositive. Malgré les mises en garde de ses proches et de ses collègues, Frank va tomber amoureux. S’opère alors un changement, comme si le prisme sombre de ses clichés peu à peu s’estompait... »
A la lecture de ces quelques lignes, le lecteur potentiel qui ne se sent pas en pleine forme risque de passer son chemin, craignant de plonger dans la déprime la plus noire. Ce faisant, il passe malheureusement à côté d’un chef-d’œuvre qui, paradoxalement, laisse une impression lumineuse.
Shannon Burke sait parfaitement de quoi il parle. Il a travaillé dans les équipes médicales de nuit à Manhattan pendant 5 ans, comme son personnage. Pour en savoir plus sur l’auteur, le plus simple est d’aller sur son site (c’est bien entendu en anglais).
Alors certes, c’est du noir profond. Pas du rose. Cependant, cette balade morbide dans Manhattan, qui fait penser, si on s’en tient au thème, au grand Necropolis de Lieberman, a une toute autre coloration. Passé le premier choc (qui est rude), le lecteur s’attache peu à peu au personnage principal, qui pourtant ne fait rien pour. Cela se fait de façon imperceptible, sans que l’on puisse dire à partir de quand on commence à l’aimer. Mais on finit par le comprendre, par se rendre compte qu’il ne fait pas ses photos pour satisfaire une curiosité et un voyeurisme malsains, mais pour garder à distance ses propres démons.
Puis, il tombe amoureux. Là aussi, ce n’est pas évident immédiatement, cela vient par petites touches, tout en subtilité. Son détachement et son indifférence apparente au monde qui l’entoure se craquellent. Dans le même temps, l’émotion gagne le lecteur, pour culminer à la fin du roman qui, malgré son côté tragique, offre à tous (personnages et lecteurs) une très belle lueur d’espoir. Une lueur d’espoir et même un regain de confiance dans la nature humaine. Et tout cela en évitant complètement tout pathos, tout effet de manche larmoyant ou apitoyé.
Sans réelle intrigue, cet exercice de haute voltige en forme de balade noire laisse des traces, pas aussi traumatisantes que l’on pourrait le craindre, et révèle un auteur qui a un véritable style dès son premier roman. En mai 2008 Shanon Burke a publié aux US un nouveau roman Black Flies. Si l’on en croit les critiques américains, il serait de la même trempe que le premier. Bientôt chez nous ?
Shannon Burke / Manhattan grand-angle (Safelight, 2004), série noire (2007), traduit de l’américain par Francis Lefebvre.