Lemmer est un Invisible. Un garde du corps passe-partout mais redoutablement efficace de la société privée Body Armour du Cap. Il est engagé pour assurer la sécurité d’Emma Le Roux, riche et jolie consultante qui se sent menacée. Quelques jours auparavant, elle a cru reconnaître dans un reportage sur une affaire de meurtre dans le parc du Kruger son frère disparu depuis vingt ans. Deux jours plus tard, trois hommes rentrent chez elle, armés et cagoulés, mais les ayant vu arriver elle réussit à leur échapper.
Lemmer sent bien qu’il y a des failles dans son récit, mais il est payé pour être garde du corps, pas flic ou privé. Il va donc faire son boulot et l’accompagner durant les quelques jours où elle va part à la recherche de son frère. Sans s’imaginer le moins du monde qu’ils sont en train de donner un coup de pied dans un nid de serpents, et qu’il va devoir s’impliquer beaucoup plus qu’il ne le souhaite.
Le problème avec Deon Meyer, c’est que le critique démuni qui n’a pas son talent, loin s’en faut, est forcément amené à se répéter. C’est encore le cas avec Lemmer l’invisible.
Que dire que je n’ai déjà dit ? Une fois de plus, un thriller passionnant dont les pages tournent toutes seules. Une fois de plus des personnages originaux et attachants, beaucoup plus complexes qu’il n’y parait au début, et que l’on découvre peu à peu. Une fois de plus de magnifiques descriptions de l’Afrique du Sud. Une fois de plus, l’Histoire vient se mêler aux histoires, le poids du passé pèse sur un présent compliqué. Depuis qu’on l’a découvert avec Jusqu’au dernier, pas un roman raté, pas une baisse de régime, rien à jeter.
On peut aussi dire que Deon Meyer a dans les mains de quoi écrire encore des dizaines de romans, des personnages auxquels on tient, que ce soit les flics Mat Joubert (Jusqu’au dernier) ou Giessel (Le pic du diable), le privé Zet van Heerden (Les soldats de l’aube), l’ancien tueur du KGB Thobela (L’âme du chasseur et Le pic du diable) et maintenant Lemmer l’invisible et l’extraordinaire patronne de Body Armour. Ils sont tous … comme on les aime, hors norme et pourtant si proches, plus forts, plus efficaces, mais aussi plus fragiles, de vrais personnages de roman noir, toujours en limite de rupture. On voudrait tous les retrouver, et ce diable d’auteur doit déjà être en train d’en inventer d’autres.
On peut ajouter que ce nouveau roman, s’il continue à explorer les conséquences actuelles de la guerre froide et de son effet sur l’apartheid, met également l’accent sur le problème de la protection de l’environnement dans un pays où il est plus sensible qu’ailleurs puisque s’y affrontent des écologistes sincères (presque tous blancs … et aisés) et des populations noires pauvres que l’on écarte de parcs naturels qui étaient, il y a peu, leur pays. Un affrontement qui ravive le racisme et des plaies qui sont loin d’être refermées. Un affrontement superbement rendu, sans parti pris, sans manichéisme, sans explication superflu.
Bref, un grand roman, encore. A signaler que tous les autres romans de Deon Meyer sont disponibles en poche chez Point Seuil.
Deon Meyer / Lemmer l’invisible (Onsigbaar, 2007) Seuil/Policiers (2008), traduit de l’anglais (Afrique du Sud) par Estelle Roudet.