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13 novembre 2008 4 13 /11 /novembre /2008 21:24

Laure devrait être contente. Après une enfance et une adolescence difficiles, elle est amoureuse de Martin, et vient de rentrer, avec lui, dans l'une des plus prestigieuses écoles préparatoires de France. La voie royale (dit-on), vers les plus hautes destinées. Le week-end d'intégration s'est plutôt bien passé, et les autres élèves sont beaucoup moins ennuyeux qu'elle ne le craignait.

Mais le dimanche, en fin d'après-midi, l'enfer commence. Bizutage intensif, violences physiques et surtout psychologiques, humiliation permanente, privation de sommeil et d'intimité … Tout cela au nom de la tradition, et soi-disant pour souder les élèves. Cent fois Laure est sur le point de se rebeller, cent fois elle courbe la tête, se haïssant pour sa lâcheté. Ce qui pourrait n'être "que" traumatisant tourne au drame dès le premier soir. Laure aperçoit, un instant, un corps désarticulé dans la cour. Mais rien, aucune réaction, personne ne dit rien. A-t-elle rêvé ? Est-ce une manipulation de plus ? Ou le bizutage a-t-il vraiment dérapé ce soir là ?

Malgré une maigre intrigue policière qui vient mettre du piment et du suspense dans ce roman, Je suis morte et je n’ai rien appris de Solenn Colléter n’est pas un polar. L’enquête est anecdotique, et le sujet est ailleurs. Le sujet c'est le bizutage que l’on croyait pourtant disparu.

Au-delà de la description des faits, c’est surtout le démontage des mécanismes qui font que des jeunes gens, a priori sains d'esprits, acceptent de se faire humilier une semaine durant, sans jamais se révolter. Comment cette manipulation, car cela en est bien une, va en faire, quand leur tour viendra, de parfaits bourreaux, qui se seront auto persuadés que, finalement, ils s'étaient bien amusés.

Comment également, des fils et filles de très bonne famille, ainsi que tout leur entourage, qui feraient sans doute un procès retentissant au premier enseignant  qui oserait ne serait-ce que lever la main sur eux, ou au premier minot qui oserait les traiter de quelques inoffensifs nom d’oiseaux, acceptent de subir les pires sévices, parce qu'ils sont entre eux, parce c’est la tradition, parce que ces choses là ne doivent pas sortir d’une certain cercle, parce ce serait sans doute trop humiliant que cela se sache, parce que ?

Tout cela est palpable dans le roman, que l'on lit dans un état de stupéfaction permanent. On sent la fatigue, le sentiment de dégoût, de haine pour ce qu’on accepte, l’imbécillité, le sadisme adolescent, l’incompréhension … Avant de se demander, bien entendu, comment on aurait réagi soi-même, à cet âge là.

Parce qu’il est trop facile de se dire qu’à plus de 40 ans (ben oui, c’est triste à dire, mais j’ai plus de 40 ans), le premier qui approche aurait pris un pied, une main, une pala (pour les gens du sud-ouest), ou tout autre ustensile pour les autres, dans la tronche (ou ailleurs). Si on y pense deux fois, on se demande forcément ce qu’on aurait fait à 17 ou 18 ans, quand on est encore fragile, et qu’on a l’impression que si l’on craque, on ne pourra pas rester dans cette école, et que, forcément, on hypothéquera son avenir. Question intéressante, à laquelle il est bien difficile de répondre honnêtement …

Solenn Colléter, Je suis morte et je n’ai rien appris, Albin Michel (2007).

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