Les visiteurs attentifs auront sans doute remarqué que cela faisait un petit moment que je n’avais pas causé bouquins. Ils n’ont rien dit, parce qu’ils sont gentils, mais ils n’en pensaient sans doute pas moins. A cela deux raisons.
Tout d’abord, mon week-end fut occupé, me laissant peu de temps pour lire. Et ensuite, j’étais un peu en train de ramer dans un bouquin que je ne voulais pourtant pas lâcher. C’était La langue chienne d’Hervé Prudon.
Tintin et Gina sont mariés et vivent dans une petite maison au bord de la mer. Pas la grande bleue avec son soleil et se baigneurs. Plutôt la petite grise, là haut, dans le nord, là où passent les cargos et où souffle la tempête. Tintin est un rejeton de la classe moyenne, grand manieur de langue et d’idées, mais sans ambition ni énergie. Tintin est complètement amoureux de Gina. Gina est femelle. Pas belle, pas souriante, pas charmeuse, femelle. Souvent, très souvent, Franck vient s’installer dans leur maison, et dans le lit de Gina. Franck est musclé, primaire, presque dépourvu de mots et d’idées.
Je suis bien embêté pour écrire ce billet. Parce que, à mon grand regret, je n’arrive pas à entrer dans la littérature d’Hervé Prudon. C’est de la grande, de la bonne. Je le sais, on me le dit, et même, je ne suis pas si bouché, je m’en rends compte. Mais je n’accroche pas. Ce roman me fait l’effet d’un coffre à bijoux : Vous l’ouvrez à n’importe quelle page, vous lisez n’importe quel paragraphe, c’est un bijou. Langue magnifique, qui donne envie de lire à voix haute, poésie pure.
Pour illustrer cela, je vous donne un exemple. Promis, juré, j’ai ouvert au hasard :
« Certains pays mijotent dans leur jus, croupissent dans leurs marigots, ou tiédissent dans leurs tasses de thé, ce pays-ci ne baigne pas dans sa mer, trop froide, impénétrable, mais dans le vent, dans son vent, son bourreau outillé d’un tranchoir en acier scandinave, impitoyable et transparent, qui découpe les yeux et jette les gens les uns contre les autres, créant du lien social et des quiproquos cocasses. Les relations humaines et les variations d’humeur suivent l’échelle de Beaufort.
Je ne suis pas d’ici.
Je ne m’y suis pas fait, à ce vent, à cette vie. Il y a des gens qui ne se font nulle part. Ils ne savent pas y faire. A lieu de se faire une raison, ils se font une folie. Ils sont faits comme des rats, bourrés et bourrés et ratatam. »
Mais, au bout d’un moment, je me lasse. De fulgurance en fulgurance, je ne trouve pas le lien, l’allant, l’envie de tourner les pages. Et ça me manque. Sans doute une incapacité chez moi à apprécier vraiment la poésie. Malgré des personnages étonnants superbement décrits, cela va sans dire, malgré des scènes et des dialogues d’anthologie (comme ce repas avec les voisins), je n’avance pas. Je m’enthousiasme par petits bouts, par à-coups, je n’arrive pas à apprécier le tout.
Dommage. Pour moi.
Hervé Prudon, La langue chienne, série noire (2008).