Ce fut vraiment un sale, très sale nouvelle. Il n’avait que 75 ans. Au vu de la quantité de romans qu’il a écrit, il aurait pu en avoir mille … Et ses lecteurs auraient voulu qu’il vive mille ans de plus. Parce qu’on a plus que jamais besoin de lui.
Impossible de résumer les bonheurs de lectures que je lui dois.
De la science fiction comme Trop humains, sa version de la fin du monde qui n’a, de mon point de vue, qu’une rivale, la version délirante de deux autres humoristes, j’ai nommé le génial De bons présages de Neil Gaiman et Terry Pratchett.
Du noir, très noir, comme Le couperet, cette implacable et inattaquable illustration du capitalisme, de la loi du plus fort, et de la ce vieil adage populaire que l’on nous ressert tant : la fin justifie les moyens. Noir aussi comme Kahawa, roman d’aventure et d’aventuriers, presque plus leonardiens que westlakiens, mais aussi, en toile de fond, dénonciation, à la Donald Westlake, c'est-à-dire sans avoir l’air d’y toucher, de la dictature d’Amin Dada.
C’est bien entendu l’écriture au rasoir de Richard Stark, et de son implacable Parker. Des romans d’action pure, sans un mot de trop, sans une phrase qui ne décrive une action, sans l’ombre d’une justification psychologique ou d’une émotion. Seulement de l’action, à l’efficacité totale, comme la prose.
Mais surtout, surtout, c’est l’auteur qui m’a fait éclater de rire si souvent.
Avec sa critique des média comme dans Moi Mentir. Avec sa variation absolument géniale sur le thème de l’homme invisible, dans Smoke, qui prend tout son sel quand on sait que le boulot de cet homme est de soulager ses semblables des biens qui les encombrent. Un roman hilarant, ponctué de scènes d’anthologie, dont celle, qui restera gravée dans mon souvenir, qui voit Freddie, le petit voleur devenu invisible, profiter de son avantage pour imposer des choix de programme télé assez … personnels, dans la salle commune d’un Bed and Breakfast.
Et il y a le génial Aztèques dansants qui, en plus de m’avoir fait plusieurs fois éclater de rire, offre de mon point de vue, la plus originale, la plus subjective, la plus délirante, mais aussi la plus juste des descriptions de New York que je n’ai jamais lue. Si vous avez ce bouquin sous la main relisez les deux premières pages, vous verrez si j’ai raison.
Et puis il y a le monument John Dortmunder. John et sa bande, que l’on a vu grandir, que l’on a appris à connaître, à aimer, à attendre … Un nouveau Dortmunder annoncé, c’était des jours de bonheur. Celui de savoir qu’on allait le retrouver, celui de voir enfin de livre, de le toucher, de lire le résumé, de le tenir, en réserve, aussi longtemps qu’on pouvait patienter. Et puis, enfin, de l’ouvrir, et de découvrir, émerveillé, ce que ce sacré Westlake allait bien pouvoir inventer cette fois comme défi irréalisable, comme casse génial, et comme grain de sable et coup du sort pour que, malgré tout son talent, John se retrouve encore et toujours couillonné.
C’était de la joie pure, de la jubilation, de l’excitation. C’était l’optimisme forcé et les voitures de médecin d’Andy, les habitués bourré du bar où la bande préparait ses casses, la force, pas toujours tranquille de Tiny, les itinéraires de délestage de Stan et de sa mère, c’était la morosité permanente de John, ses plans géniaux, sa mafre légendaire, son refus des gadgets modernes … C’était des personnages que l’on connaissait tellement bien que Westlake pouvait élaguer, épurer, certain que le lecteur comprendrait à demi-mot. Et quoi de plus gratifiant pour un lecteur que de sentir que l’auteur lui fait confiance ?
Je ne me risquerai pas à tenter un semblant de bibliographie. Elle serait beaucoup trop incomplète. Fouillez votre bibliothèque, allez chez votre libraire, dans votre bibliothèque préférée, piochez au hasard, ce sera bon.
Seule consolation, bien maigre, rivages a l’air de rééditer tous les anciens Westlake qui n’étaient plus trouvables que chez les bouquinistes ou dans les meilleures bibliothèques. Maigre consolation, vraiment, mais consolation quand même.
Je terminerai par ceci, qui conclut la débâcle des sentiers du désastre :
« Vous savez quoi, dit Dortmunder. Je commence à comprendre ce qu’il y a de pire dans tout ça.
Kelp semblait intéressé, mais inquiet.
- Il y a un truc pire qu’un autre ?
- Si on ne fait pas le casse ce soir, dit Dortmunder, vous savez ce qu’on aura fait pendant trois jours ? On aura travaillé ! »
Un dernier mot, quand même. Sur le site de Sarah Weinman, l’hommage à Donald Westlake s’étoffe d’heure en heure. C’est en anglais, et cela montre ce que diable d’homme représentait là-bas aussi.