Campagne anglaise, 1997. Gottfleish, un marchand d'art sans scrupule (redondance ?) est persuadé que Sidonie Keene, vieille dame très digne de 85 ans, est en possession de quelques aquarelles de sa sœur Naomi dont la côte est en train de grimper. Un petit groupe de collectionneurs s'intéressent aux portraits de dignitaires nazis que la jeune peintre avait réalisés entre 36 et 40. A l'époque, elles étaient avec sa sœur très proches du parti d'extrême droite anglais, et avaient voyagé en Allemagne où elles avaient fait connaissance de tout le gratin nazi.
Peu de temps après la guerre Naomi rentrée très discrètement en Angleterre mourrait dans un accident de la route. Et depuis quelques années, des collectionneurs recherchent ses portraits. Comme Sidonie prétend n'avoir aucune toile, Gottfleish envoie Ticky, un petit truand qui travaille parfois pour lui, visiter la maison. Une visite qui tourne mal et va faire remonter des souvenirs pas très jolis.
Comme souvent dans le roman noir, une intrigue actuelle, puisqu’elle se déroule durant les dernières semaines avant l'élection de Tony Blair, sert de prétexte à la revisite d’un passé peu glorieux. Ici les années trente, en Angleterre et en Allemagne.
Si tout le monde a plus ou moins en tête la chronologie de la montée du nazisme en Allemagne, nous sommes nombreux à ne rien savoir de ce qui se passait en Angleterre à ce moment là. Peindre au noir de l’anglais Russell James nous éclaire sur cette période, et plus particulièrement sur la fascination de toute une partie de l'aristocratie anglaise pour les mouvements nationalistes, et pour le nazisme, avec en point d'orgue les jeux de Berlin en 36.
L’auteur à l’intelligence de ne pas se fendre de discours moralisateurs. Bien au contraire, il laisse la parole à une vieille dame, en apparence tout ce qu’il y a de respectable qui, très calmement et très posément, justifie sans passion ce que tout le monde, à part quelques illuminés, considère comme l’un des pires (si ce n’est le pire) moment de l’histoire de l’humanité.
Sa justification du nazisme, présenté comme presque « normal » à cette époque là, est bien entendu choquante. Mais il faut aussi l'entendre pour comprendre pourquoi cela a marché, et donc pourquoi cela pourrait encore marcher. Il faut l'entendre pour comprendre la séduction du Mal. Il faut l'entendre quand elle dit que si on présente les leaders nazis comme des fous, on les exclue du genre humain (ce qui est très rassurant), faisant ainsi une erreur grave car on présente les événements comme une aberration inhumaine, ponctuelle, qui ne peut pas se répéter.
Le lecteur oscille entre dégoût, indignation, et réflexion, parce qu’elle n’a pas tort dans tout ce qu’elle dit. Si elle a tord dans sa justification des actes nazis, et dans la minimisation de leur gravité, elle n’a pas tord quand elle explique qu’il faut absolument comprendre pourquoi tant de gens ont adhéré. Non pas pour les excuser comme elle le fait, mais pour saisir les mécanismes, et empêcher (si possible) que cela se reproduise.
Et ne croyez pas que l’intrigue soit bâclée pour laisser la place à un cours d’histoire. Elle est particulièrement travaillée, portée par des personnages forts, et réserve quelques beaux coups de théâtre. Comme le va et vient entre passé et présent est parfaitement maîtrisé, on a là un gros roman, dense, parfois dur et dérangeant, mais toujours passionnant.
Russell James / Peindre au noir (Painting in the dark, 2000), Fayard noir (2009), traduit de l’anglais par Corinne Julve.