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18 février 2009 3 18 /02 /février /2009 18:19

Je n’avais pas été convaincu par le premier roman d’Enrique Serna traduit en France, Peur des bêtes. Malgré un style indéniable, il y réglait, à mon goût, trop de comptes avec le milieu littéraire mexicain. J’avais trouvé le procédé un peu limite, et comme de plus, il parlait de gens dont j’ignorais tout, j’étais resté dubitatif.


Quand je serai roi est, de mon point de vue, infiniment meilleur.


Mexico, années 80. Nopal, douze ans, fuit un foyer triste pour se retrouver avec ses amis et s'oublier en sniffant de la colle. Marcos, riche propriétaire d'une radio putassière, invente un concours imbécile pour récompenser un enfant ayant fait preuve d'héroïsme. Son fils Marquitos, adolescent fêlé, s'amuse à tirer sur les pauvres depuis le toit de sa maison. Damian, pauvre type minable, s'accroche à une dignité factice, pour supporter une vie terne au côté de sa mère … Quelques gamins de rues, de riches parvenus, de soi-disant intellectuels pontifiants, un journaliste tiraillé entre ses convictions et la nécessité de gagner sa vie … Autant de personnages qui vont se croiser, pour le meilleur, et surtout pour le pire.


On retrouve la verve et le style du premier roman, mis cette fois au service d’une œuvre beaucoup plus ambitieuse. Adoptant à chaque chapitre un nouveau point de vue, Enrique Serna construit un véritable kaléidoscope, succession de scènes, en apparence sans rapport les unes avec les autres, qui finissent par trouver leur cohérence au fil du récit.


Il dresse le portrait entre drame, farce grinçante et grand guignol d'une ville de Mexico aussi baroque et extrême que celle décrite par Taibo, et d’une société mexicaine éclatée, où la misère culturelle est le seul point commun entre des gamins sans éducation, et une classe de nouveaux riches fascinés par ce que le voisin nord américain propose de plus clinquant et de plus vulgaire.


L'auteur se montre brillant dans tous les registres de son écriture. Il passe de dialogues d'une vacuité effarante lors de réceptions entre parvenus, au pathétique ou au surréaliste quand il donne la parole aux gamins à l’esprit embrumé par les vapeurs de colle, fait entendre la frustration de Damian, ou délires conditionnés par une télévision abrutissante de sa mère ; sans oublier l'hypocrisie sirupeuse des jurés du concours d'héroïsme et des officiels qui se prêtent à cette pantalonnade.


C'est méchant, grinçant, parfois drôle, parfois émouvant, souvent absurde, toujours juste. Une façon originale et puissante, à défaut d’être aimable, d'évoquer la société mexicaine.


Enrique Serna / Quand je serai roi (Uno que sonaba que era rey, 2000), Métailié (2009), traduit de l’espagnol (Mexique) par François Gaudry.

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commentaires

C
Comme j'ai publié ma chronique, je viens donc de lire ton commentaire en entier. Je pense qu'on est d'accord sur le côté brillant de l'écriture comme sur l'humour sarcastique de l'auteur. Je n'ai, par contre, pas évoqué le côté "années 80". Comme si, finalement, on pourrait penser qu'il en va toujours ainsi dans le Mexique d'aujourd'hui. D'ailleurs, j'ai pensé au film "La zona" (en ce qui concerne la séparation entre ces deux mondes, la corruption du système et des flics) qui est bien ancré dans le présent...
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J
<br /> C'est vrai que c'est peu daté. J'avais indiqué la date uniquement parce qu'elle apparaît dans le roman, mais il pourrait très certainement se passer aujourd'hui.<br /> <br /> <br />
C
J'en suis à plus de la moitié et J'ADORE...Ca a du style, du souffle et on retrouve tout ce qui fait un grand roman (noir ou tout court...). Je me dépêche de finir et je publie un billet....Bien rentré???
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J
<br /> Bien rentré, mais la reprise est un peu ... abrupte.<br /> <br /> <br />
C
Je ne lis pas ta chronique tout de suite car je dois faire un billet pour le défi... Curieux de savoir cependant si on partagera le même point de vue...
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J
<br /> A bientôt donc.<br /> <br /> <br />
J
Je rejoins totalement l'avis de M. Laherrere. J'ai été emballée par ce roman, JeanJean je m'attendais à ce que tu l'apprécies aussi ! T'aurais peut-être du essayer un peu de colle avant ;-) Du coup, je suis très curieuse de comparer avec La peur des bêtes pour comprendre vos avis.
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J
<br /> Bonne lecture de la peur des bêtes alors.<br /> <br /> <br />
J
j'ai un peu l'image inversée : j'ai beaucoup aimé La peur des bêtes, et je suis d'autant plus déçu par celui-là, que j'ai abandonné à la moitié, baillant d'ennui...<br /> Il y a pourtant de bons passages, mais noyés dans un style un peu pompeux, verbeux, parfois alambiqué. Tout l'inverse de la prose nerveuse à l'oeuvre dans son précédent roman.<br /> Dès le début et la séance d'hallucinations du Nopal, j'étais sceptique. Si d'autres, au contraire, arrivent à rentrer directement dans le bouquin, ils devraient alors apprécier la suite. Non ?
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J
<br /> C'est vrai que le début m'a aussi fait un peu peur, mais après j'ai été accroché. Bon on ne peut pas être tout le temps d'accord !<br /> <br /> <br />

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