Je pourrai, pour parler de 186 marches vers les nuages, le dernier roman de Joseph Bialot, me contenter de vous renvoyer au papier de Moisson Noire. Mais ce serait faire preuve d’une flemme bien coupable.
1946, Berlin. Bert Waldeck est un survivant. Il a passé 11 ans dans les pires camps nazis. Pourtant Bert n’est ni juif, ni tzigane, ni homosexuel, ni même communiste. Cet ancien flic a juste eu le tort de ne pas taire ce qu’il pensait du régime nazi. Il a vu et vécu l’indicible, et il a survécu, mais dans quel état. Il recommence à s’intéresser à la vie quand un officier américain le recrute pour retrouver un SS, ancien ami d’enfance de Bert qu’il a croisé à deux reprises dans les camps. Au bout de quelques jours, Waldeck se rend compte qu’il est manipulé. Il décide alors d’enquêter pour son propre compte, quitte à devoir revivre les pires moments de sa vie.
Comme souvent dans le roman noir, l’enquête n’est que le prétexte, l’important est ailleurs. Ici, dans l’évocation des pires moments de l’histoire européenne. Joseph Bialot, qui fut lui-même déporté (lire C’est en hiver que les jours rallongent), choisit ici de prendre pour porte-parole un allemand en désaccord avec le régime. Cela donne un point de vue original, mélange de culpabilité d’être allemand et de perte d’illusions et de souffrance d’avoir été une des victimes.
Le récit se fait au travers de rapides aller-retour entre 1946 et le passé récent (de1933 à 1945) et décrit la montée de la haine, de la perte de valeurs et de culture, la main mise sur la pays d’une poignée de fanatiques associés aux pires crapules du pays. Et puis l’horreur, la déshumanisation tout autant que de destruction physique mise en œuvre dans les camps, et les rares étincelles de résistance, d’intelligence qui, miraculeusement, arrivent à survivre.
C’est également le portrait de Berlin, grande capitale européenne réduite à un champ de ruines où errent des survivants complètement perdus. C’est enfin la description du cynisme des grands qui, sous couvert de réalisme politique, se partagent le cadavre encore chaud et sont près à blanchir les pires criminels s’ils peuvent leur être utiles. Tout cela au nom d’une guerre froide qui s’annonce déjà.
On pourrait s’enfoncer dans le pathos, dans la diatribe, ce n’est jamais le cas. L’émotion, la colère, la rage, l’incompréhension sont là, parfaitement exprimées, mais avec pudeur. Un grand roman noir, magnifiquement écrit. Un roman pour ne pas oublier, mais également un roman pour alerter. Car ce n’est qu’en sachant de quoi l’homme est capable, individuellement et collectivement, que l’on peut espérer éviter que le pire se reproduise.
Ceux qui veulent en savoir plus sur l’auteur peuvent aller lire la transcription de la rencontre entre Joseph Bialot et ses lecteurs sur le site de Bibliosurf.