Rééditions de Donald Westlake, Rivages persiste et signe avec Envoyez les couleurs, et c’est tant mieux.
C’est un grand jour pour Oliver Abbott : Son premier jour d’enseignant d’anglais dans le collège que dirige son père, dans un quartier noir de New York. Un grand jour qui se transforme en jour étrange : Les élèves, les parents d’élèves, certains collègues et pas mal d’activistes noirs reprochent à Oliver d’avoir pris la place d’un professeur noir. Les élèves sont en grève, le quartier en ébullition. Oliver que son père avait totalement tenu à l’écart de la polémique qui avait enflé pendant les vacances, tombe des nues et se trouve au centre d’un conflit qui le dépasse complètement. Pour arranger la situation, il tombe amoureux de Leona, superbe jeune femme, prof de sport … et noire. Le pire est à venir pour Oliver.
Difficile de faire son boulot de chroniqueur amateur après la quatrième de couverture qui dit ceci : « Tout ce que Westlake a écrit sous des identités diverses est bon, et presque tout est mieux que bon. Si vous ne possédez pas tout, allez chez votre libraire, consultez ses catalogues, commandez, lisez. Voilà. » Jean-Patrick Manchette.
Allez ajouter quelque chose à ça … Tant pis, j’y vais quand même.
Commençons par un avertissement. Ce roman n’est pas un polar. Pas de mort, pas d’enquête, pas de vol, pas de flic (ou si peu), encore moins de privé, à peine une ou deux bagarres. Par contre c’est indéniablement un roman de Donald Westlake.
Ecrit et publié en 1969, il reste d’une actualité brûlante. Je connaissais Westlake humoriste, Westlake sec comme un coup de trique (sous le pseudo de Richard Stark), Westlake écrivain de science fiction (Trop humains), Westlake éroticomique (Adios Shéhérazade), Westlake noir profond (Le couperet). C’est encore un nouvel aspect de son talent que je découvre ici : sous des dehors souriant (car son humour est toujours là), il nous livre une très belle histoire d’amour, assortie d’une critique implacable (et souriante) du communautarisme.
Si les sympathies de l’auteur vont, sans le moindre doute, aux habitants noirs et révoltés du quartier où le jeune Abbott doit enseigner, cela ne l’empêche pas de dénoncer de façon d’autant plus efficace qu’elle passe par l’ironie les effets pervers, contre productifs et même franchement absurdes du communautarisme. Une dénonciation qui date de 1969, mais qui sonne très très juste aujourd’hui.
Tout cela est fait avec le talent qu’on lui connaît. Son personnage est magnifique, faible, totalement sous la coupe de papa maman, doutant de lui, victime de ses préjugés (qui sont ceux de l’époque) qu’il combat pourtant de toutes ses forces … et amoureux. Un amour qui lui donne la force d’affronter une scène finale digne grandiose. Une scène qui dans sa fraîcheur, son enthousiasme, son humanisme dénué de tout cynisme fait penser aux plus grandes scènes d’un Capra.
Voilà, on verrait bien James Stewart ou Cary Grant dirigé par un Franck Capra pour cette scène là. On referme le roman avec une pêche d’enfer et l’envie d’aller ferrailler contre tous les cons et les empêcheurs d’aimer en rond. Vive Westlake !
Donald Westlake / Envoyez les couleurs, (Up your banners, 1969) Rivages/Thriller (2009), traduit de l’américain par Michel Deutsch.