Cela fait quelques temps que j’entends parler d’Abdel Hafed Benotman, que les copains me disent de le lire … Je l’ai même croisé brièvement lors de la dernière AG de l’association 813 … Mais voilà, il sort tant de livres, et de bons livres, que je l’avais raté. Oubli réparé grâce à la réédition en poche d’Eboueur sur échafaud. Il était temps. Je passais vraiment à côté d’un auteur remarquable.
Dans la famille Bounoura il y a : Benamar, le père, colosse analphabète qui se venge à la maison des humiliations qu’il subit tous les jours au dehors et cogne sur tous ceux qui contestent sa loi ; Nabila, la mère qui ne peut oublier l’Algérie, ne parle quasiment pas français, et sombre peu à peu dans une folie dont la violence s’exerce tour à tour sur ses enfants et sur elle-même ; Nourredine (dit Nono), l’aîné qui voudrait faire du théâtre ; Karima (dite Kim) et Nadia (dite Nadou), les deux filles qui, chacune de son côté, va trouver sa façon d’échapper à la tyrannie et à la violence du père ; et Faraht (dit Fafa, le narrateur), le petit dernier, battu, martyrisé à la maison, moqué au dehors, qui avec ses rares copains va se rebeller, se battre et plonger, peu à peu, dans la délinquance. Tout cela se passe à Paris, fin des années 60, début des années 70. D’après Benamar le tyran, Fafa n’a que deux avenirs possible : éboueur ou sur l’échafaud.
Etonnant. Alors que le fond de l’histoire (folie, maltraitance, brutalité sur un enfant, racisme, obscurantisme … et j’en passe) est sinistre, on arrive à sourire et à se laisser emporter par la beauté de la langue, et la vitalité du narrateur. Même si l’auteur ne laisse aucune illusion à son lecteur, c’est bien l’éducation d’un délinquant qui va passer de très nombreuses années en prison, avec la noirceur et la misère que cela implique, qui est ici décrite, on ne peut s’empêcher de … prendre du plaisir à la lecture.
Etonnant vraiment, car malgré la noirceur de l’ensemble c’est bien cela qu’il se passe, on prend du plaisir ! Avant d’être rattrapé par le fond, d’un noir profond. Miracle de la langue, du style … miracle de la littérature pour faire bref.
C’est aussi qu’il y a un côté Malaussène dans cette famille Bounoura. Des Malaussène où l’amour et la solidarité auraient été remplacés par la colère, la haine ou la folie. Mais par certains côtés, on retrouve la même chaleur, même si ici elle brûle au lieu de réchauffer. Et puis il y a de magnifiques pages sur l’amitié, la révolte, ou la complicité entre Fafa et Nadou. Il y a surtout une humanité, une énergie flamboyante, une envie de vivre qui emportent tout. Aucune froideur, aucune indifférence.
Les copains avaient raison (comme toujours), il fallait que je lise Abdel Hafed Benotman.
Abdel Hafed Benotman / Eboueur sur échafaud, Rivages Noir (2009).