Tout est parti, semble-t-il, de la découverte de quatre nouvelles : Deux du trop méconnu Davis Grubb, pourtant auteur d’un chef d’œuvre, La nuit du chasseur, et deux de Charles Beaumont dont je n’avais jamais entendu parler (et qui est sans doute trop méconnu lui aussi). Elles donnèrent à Jean-Paul Gratias, excellent traducteur bien connu des amateurs de polars (il a traduit James Ellroy, John Harvey et Robin Cook … entre autres), la très bonne idée de rassembler 14 nouvelles inédites autour du jazz et du polar.
On y retrouve des noms que l’on attendait, bien évidemment, quand on parle jazz et polar, avec en tête John Harvey et Marc Villard, incontournables. Michel Boujut, auteur de polar et grand amateur de jazz, Jake Lamar qui reprend son personnage de pianiste noir américain exilé à Paris de Rendez-vous dans le 18°, et Bob Garcia, contrebassiste de talent et auteur de polars étaient également attendus.
Le jazz est présent, en toile de fond des aventures de Lew Griffin de James Sallis.
Le recueil est complété avec des nouvelles de Nathan Singer, déjà traduit chez Moisson Rouge, de Bill Moody, et du pianiste français de renommée internationale Laurent de Wilde, auquel on doit déjà une excellente biographie de Thelonious Monk sobrement intitulée … Monk.
Avec tout ça, fini de tourner autour du pot, le recueil est excellent. On voyage en musique tout au long du XX° siècle, du sud des US à Paris, en passant par New York, Los Angeles, Londres et … les Vosges.
Comme annoncé dans le titre, la musique est toujours, en permanence, présente. Parce que les protagonistes sont presque tous des musiciens ; parce qu’y sont convoqués les fantômes de Billie Holliday ou de Miles Davis ; parce qu’on y suit des musiciens qui galèrent, qui coulent, qui soufflent, qui meurent ou qui connaissent des moments de grâce. Tout n’est pas forcément noir, mais tout est … blues.
Je ne sais pas si on peut l’apprécier autant si l’on ne connaît rien au jazz. Mais pour celui qui aime cette musique c’est un vrai bonheur. Un gros bonheur avec quelques pépites qui brillent encore plus.
Comme l’hommage de Davis Grubb à Strange Fruit, la chanson la plus bouleversante de Lady Day ; comme le moment de communion musicale évoqué en quelques lignes par Bill Moody ; comme la description criante de vérité du départ pour un concert de Laurent de Wilde (même s’il doit avoir bien longtemps qu’il n’a plus besoin de se préoccuper de trimballer son clavier !). Comme, dans toutes les nouvelles, les pages lumineuses sur ces moments musicaux où, miraculeusement, tout fonctionne, et où on a l’impression d’être ailleurs, autre …
Parce que si toutes ces nouvelles sont sombres, toutes, ou presque, font aussi sentir au lecteur, musicien ou non, le paradis fugace qu’atteignent les musiciens quand ils ont la musique avec eux. Un paradis qu’on ne peut que continuer à chercher une fois qu’on l’a entraperçu.
Un recueil très réussi qui, en plus, donne envie d’écouter du jazz. Que demander de plus ?
Jazz me Blues, anthologie rassemblée par Jean-Paul Gratias, Moisson rouge (2009).