Après le pavé de Leif Persson, intéressant dans le genre cérébral il fallait de l’émotion, de l’action, de l’empathie, quelque chose qui prenne aux tripes.
« Il y a des jours où le bord de votre lit ressemble à un précipice de cinq cent mètres de fond. Synonyme d’une répétition à l’infini de tâches qu’on n’a aucune envie d’accomplir. Lascano voudrait ne plus avoir à quitter son lit, ou alors pour se jeter dans l’abîme. A condition que ce vide soit bien réel. Mais il n’existe pas. La seule réalité c’est la douleur. […]
Il se jette dans le vide. La douche le débarrasse des restes de sommeil qui s’échappent par la bonde en hurlant. »
Ainsi commence L’aiguille dans une botte de foin, premier roman d’un auteur argentin, Ernesto Mallo, publié chez rivages.
« Perro » Lascano est un flic atypique : Il essaie de faire honnêtement son boulot, chose pratiquement impossible à Buenos Aires en pleine guerre sale, quand les militaires sèment les cadavres partout dans la ville. C’est sûrement pour deux nouvelles victimes de la junte qu’il a été appelé dans un quartier déshérité. En arrivant, il découvre un troisième cadavre, différent des deux premiers qui ont été de toute évidence jetés là par les militaires : Plus âgé, visiblement tué ailleurs pour être jeté là, il intrigue Lascano qui décide d’enquêter, même s’il sait que cela ne peut lui apporter que des ennuis.
Je voulais de l’émotion, j’ai été servi !
Ici, pas d’enquête classique, le lecteur en sait vite plus que le policier, et ce n’est pas sa démarche déductive qui intéresse Ernesto Mallo. Non l’intérêt réside dans tout le reste.
A commencer par ce personnage désespéré qui remue les tripes. Le blues de Lascano suinte de toutes les pages, servi par une écriture belle et déchirante … comme un tango (je sais, c’est un poil cliché pour un roman argentin, mais c’est bien ça que l’on ressent). On rentre dans la peau de Lascano, on partage son désespoir, sa fatigue, son dégoût de ce qu’il voit tous les jours.
Les personnages secondaires ne sont pas en reste. Ils participent de façon active ou passive à la folie macabre de cette sale période dans laquelle on rentre de plein pied et qu’on prend en pleine poire. Jusque là seul le magnifique et méconnu Vladimir illitch contre les uniformes de Rolo Diez m’avait autant fait ressentir l’impunité des brutes galonnées, l’envie de hurler de rage, et la trouille permanente, viscérale, paralysante.
Et parce qu’on est en Argentine, il y a quand même quelques échappées, quelques belles pages sur l’amitié, le maté partagé, un repas avec un ami, un amour naissant, et, inévitables, les citations de quelques auteurs aimés … Un magnifique roman profondément touchant. Et un auteur à découvrir.
Ernesto Mallo / L’aiguille dans une botte de foin, (La aguja en el pajar, 2005) Rivages/Noir (2009), traduit de l’espagnol (Argentine) par Olivier Hamilton.