C’est sur le blog de Marc Villard que j’ai remarqué Un pied au paradis de Ron Rash. Ce qu’il en disait m’a donné envie, je n’ai pas été déçu.
Nous sommes dans les années cinquante, quelque part à la frontière entre la Caroline du Nord et la Caroline du Sud. Une terre qui fut enlevée aux Cherokee. Les paysans qui la travaillent sont sur le point d’en être dépossédés à leur tour. La compagnie électrique Carolina Power rachète les terres pour construire un barrage. C’est dans cette atmosphère tendue que le shérif Alexander, fils et frère de paysans, enquête sur la disparition de Holland Winchester, un ancien soldat fauteur de troubles. Un drame raconté à cinq voix, par le shérif, son adjoint et trois des protagonistes.
Etonnant comme cette description de l’Amérique rurale des années cinquante ressemble à celle des années trente de Steinbeck ou du Honky Tonk Man de Eastwood. Même âpreté, même dureté au travail, même attachement à une terre pourtant difficile, même sensation d’être dans un pays qui n’a rien à voir avec les grandes métropoles.
Tout cela très bien rendu par une langue qui colle au parler rural. L’auteur est prof d’université, mais son écriture sonne vrai, les dialogues fonctionnent parfaitement, sans qu’on n’ai jamais l’impression d’être face à un exercice artificiel.
Et c’est cette écriture, et le changement de narrateurs, qui rend aussi tangibles les non dits d’une époque et d’un lieu qui ne se prêtaient pas à l’expression des sentiments. Qui rend tangibles le poids de la religion, des superstitions et du regard des autres. Qui rend tangibles aussi la relation à la terre, l’odeur de la pluie, la douleur après un journée de boulot, la texture de la terre, le goût d’un pain de maïs, le désespoir devant la sécheresse et le bonheur quand enfin la pluie vient sauver la récolte, et par là même la survie d’une famille.
C’est âpre, rugueux comme du Larry Brown (même si Ron Rash n’a pas la même densité ni la même puissance), avec cette façon qui était la sienne de raconter les histoires de gens dont on ne parle jamais, qui ne sont jamais les héros de rien, et de les rendre passionnantes et émouvantes.
Une belle découverte.
Ron Rash / Un pied au paradis, (One foot in Eden, 2002) Editions du Masque (2009), traduit de l’américain par Isabelle Reinharez.