Je connaissais le Camilleri exubérant de l’incontournable série Montalbano, et le Camilleri picaresque des romans historiques. Le tailleur gris m’a fait découvrir un Andrea Camilleri tout en retenue et en nuances.
Aujourd’hui est un jour particulier. C’est le premier jour de la retraite. Un jour qui laisse ce directeur de banque sicilien totalement désemparé. Et Adele, sa très jeune et très belle épouse bien embêtée. Adele que le lecteur découvre peu à peu. Très à cheval sur les principes et la respectabilité en public, totalement dépourvue de morale et de limites en privé, elle a depuis peu imposé son jeune amant à son époux vieillissant qui ne peut la satisfaire, loin s’en faut. Dès le lendemain, Adele, grâce à ses relations, trouve un nouveau travail à son mari … qui découvre le même jour qu’il est gravement malade.
Le lecteur découvre ici un Camilleri intimiste et sobre qu’il ne pouvait soupçonner à la lecture des romans précédents. La langue camillerienne est là, avec ses expressions savoureuses, mais elle est épurée et assourdie. La rogne, l’énergie rageuse de Montalbano sont remplacées par le flegme de ce personnage, capable de louvoyer entre sa fidélité à sa banque et les impératifs d’une économie obligée de composer avec la mafia. Un personnage discret, efficace, prudent, qui ne s’intéresse qu’à son travail, et considère toutes les menues attentions que veut bien lui prodiguer sa femme comme des cadeaux qu’il mérite à peine.
On sort peu dans ce roman, pas de soleil, pas de mer, pas de cuisine, pas d’odeurs … Tout est enfermé, feutré. Pas de bruit, pas de cris, pas de grandes scènes, tout passe par des non dits. Une façon magistrale et tout en nuances de rendre l’hypocrisie d’une bourgeoisie qui tient aux apparences alors qu’elle est sous la coupe de truands. Une bourgeoisie qui cache ses secrets, ses drames, ses fantasmes et ses compromissions.
Et tout ça au travers des derniers jours d’un homme discret, et en moins de cent cinquante pages. Magistral.
Andrea Camilleri / Le tailleur gris, (Il tailleur grigio, 2008) Métailié (2009), traduit de l’italien par Serge Quadruppani.