Je pourrais (une fois de plus), vous renvoyer simplement vers le papier de Yan sur Moisson Noire. Je pense tout pareil. Mais comme je suis consciencieux, je vais quand même essayer de vous écrire quelque chose sur Mississipi blues de Nathan Singer.
Eli et Jessie, un des couples talentueux de New York. Il est peintre, elle est danseuse, ils ont du succès … La vie leur sourit. Le jour de la première représentation de son nouveau spectacle, Jessie est tuée net par la chute d’une poulie. Eli fou de douleur se perd dans la ville … Et reprend conscience en 1938, dans un bled du Mississipi. Le choc passé, il tente de survivre, et trouve même son compte dans un lieu et une époque où il peut voir et entendre certaines de ses idoles, des gens comme Robert Johnson ou Howling Wolf. Mais la vie est dure dans le sud raciste pour un blanc excentrique qui aime le blues et fut marié avec une femme noire, et la police du temps est sur ses traces …
Prière pour Dawn, le premier roman traduit de Nathan Singer (déjà publié chez Moisson Rouge) faisait déjà preuve d’ambition, d’imagination, de puissance et offrait une belle variété de styles et de tons. Le tout manquait quand même un peu de contrôle et partait parfois dans tous les sens. Voilà ce que j’en pensais : « c’est un roman sacrément gonflé, plein de bruit, de fureur, de rage, de sanglots et d’éclats de rire désespérés. Un peu trop plein parfois. L’auteur, consciemment ou non, c’est laissé déborder par ses émotions, ses cris, et n’a pas réussi à les contenir, les mettre en forme, les faire rentrer dans son roman.»
Et là, bingo. Sans rien lâcher de sa puissance, de sa vivacité, de son inventivité, Nathan Singer arrive à maîtriser la bête, à la canaliser. A tape en plein dans le mille. Certes, il ne faut pas chercher absolument à avoir toutes les explications rationnelles. Ni à ranger son roman dans une case. SF ? pas vraiment dans le sens où rien de vient « expliquer » le voyage dans le temps ; polar ? pas vraiment non plus dans le sens où il n’y a pas vraiment d’intrigue, plutôt une chronique noire qui, on le sent, va mal finir ; roman historique ? En partie seulement …
Mississipi blues est à prendre tel quel : une approche originale et une langue qui claque au service d’une magnifique balade dans le sud profond, et profondément raciste, des années 30, avec une mise en abime historique intéressante qui rapproche cette période historique avec le début des émeutes de Watts en 1965 et, brièvement, l’époque actuelle.
Ajoutez de très belles pages sur la musique, et vous aurez toutes les raisons de ne pas laisser passer cet objet littéraire étrange mais fascinant.
Nathan Singer / Mississipi blues (Chasing the wolf, 2006), Moisson rouge (2010), Traduit de l’américain par Laure Manceau.