Ken Bruen est prolifique, et c’est tant mieux parce que j’ai aimé tous ses bouquins (du moins, tous ceux que j’ai lu jusqu’à présent). Voici donc, Brooklyn Requiem qui n’est ni un Jack Taylor, ni un R&B. Mais pas de doute, c’est bien un Ken Bruen.
Matt O’Shea est garda (tout le monde ici sait bien entendu ce que c’est*). Il rêve d’être flic en Amérique. Coup de bol, à l’occasion d’un échange « culturel », 20 irlandais sont choisis pour aller passer quelques temps chez les flics ricains. Et Matt fait partie du nombre. Hasard ? Pas tout à fait. Disons que Matt sait parfaitement utiliser les informations qu’il recueille lors de ses enquêtes. Surtout les informations sur les hommes au pouvoir.
Le voilà donc au NYPD, partenaire de Kurt, flic mal luné et violent. Et alors ? Et alors le séduisant Matt a un petit secret. De temps en temps il étrangle une jeune femme, avec une chapelet. Autre chose, Matt est froid comme la glace, très intelligent, et son intelligence est toute au service d’une seule cause, lui-même. Quand il rencontre la très belle sœur légèrement attardée de Kurt …
La noirceur de la série Jack Taylor, des flics aussi doux que Robert et Brant, un monstre et l’écriture de Ken Bruen. Le mélange ne peut être que détonnant. Il l’est.
Je vais tout de suite vous lister les reproches qui ne manqueront pas d’être fait à ce roman. La minceur de son intrigue, l’impression que, s’il le voulait bien, il pourrait sans doute écrire une roman encore plus grand. Et c’est vite lu, trop vite.
A cette dernière critique il est facile de répondre : Vaut-il mieux prendre son pied deux heures ou s’emmerder six comme on le fait souvent avec les thrillers tout venant ? Pour ma part, je préfère la première solution.
Ken Bruen rate-t-il, une fois de plus, son GRAND ROMAN ? Peut-être mais je ne suis pas certain qu’il ait envie de l’écrire. Ni même que ce soit dans son caractère, ou qu’il ne risque pas d’y perdre son écriture. Il écrit, magnifiquement, des romans courts, secs, très sombres et très humains.
A moi ça me suffit. Et quelle écriture, j’ai relu plusieurs paragraphes, plusieurs phrases, juste pour le plaisir du rythme, de la formule qui fait mouche. Bref, deux heures de pied. A déconseiller quand même à ceux qui n’ont pas le moral, c’est très très sombre.
Pour les autres, on a en plus le plaisir de croiser une vieille connaissance :
« Quelques jours avant le départ, j’ai rencontré par hasard un type complètement destroyed qui avait bossé avec mon père. Détective privé, alcoolo et minable, il avait arrêté de boire pendant quelques années avant de reprendre la bouteille avec une frénésie qu’elle lui avait bien rendue.
On aurait dit un macchab’ passé au micro-ondes. »
Allez encore un petit extrait pour la route, et je vous laisse vous précipiter chez votre dealer de bouquins habituel pour acquérir ce petit diamant noir :
« T’es un produit de la nouvelle Irlande, tu le sais, au moins ?
Percevant que ce n’était pas très flatteur, j’ai demandé :
-Ah ouais, et c’est quoi ça ?
Il a vidé sa pinte, fait signe qu’on lui remette ça et précisé :
- Arrogance, aplomb et compétence zéro. »
Ken Bruen / Brooklyn Requiem (Once were cops, 2008), Fayard/Noir (2010), Traduit de l’anglais (Irlande) par Catherine Cheval et Marie Ploux.
(*) D’accord, pour ceux qui ne savent pas, un garda est un flic en Irlande, mais devoirs de vacances, lisez des Jack Taylor.