Me revoilà. Je ne vous avais pas oubliés, je ne m’étais pas perdu dans le boulot, mais dans Les traîtres, pavé passionnant de Giancarlo de Cataldo. L’auteur du monumental Romanzo criminale, son meilleur roman jusque là, quitte (momentanément ?) le polar et revient en fanfare avec ce roman historique incontournable.
De 1844 à 1870 ce qui sera l’Italie est en guerre. Français, patriotes, mafia (qui ne s’appelle pas encore la mafia), camorra, empire austro-hongrois … complotent, trahissent, promettent, tuent, gracient au gré des alliances qui se font et se défont dans le grand bouillonnement que l’on pourra ensuite appeler l’unification de l’Italie. Espions, utopistes, modérés, radicaux, marxistes, paysans, nobles, affairistes, aventuriers, truands … Tous participent, tous ont un but. Dans ce chaos, Giancarlo de Cataldo nous attache plus précisément aux pas de :
- Lorenzo Di Vallelaura : patriote originaire de Venise qui, pour sauver sa peau, est contraint de devenir espion pour l’empire austro-hongrois … dans un premier temps.
- Lady Violet : Dame de la noblesse anglaise aux idées progressistes qui va soutenir les mouvements les plus radicaux en faveur de l’unité italienne.
- Striga : Jeune italienne muette aux talents mathématiques très en avance sur son époque. Génie pour les uns, sorcière pour les autres.
- Terra di Nessuno : guerrier sarde qui passera des cachots les plus sordides à un poste de député sans jamais renier ses engagements premiers.
- Salvo Matranca : jeune membre de la Société (future Mafia).
- Paolo Vittorelli dela Mogière : Chef des services secrets du Piémont … dans un premier temps
Mais également, Giuseppe Garibaldi, Victor Emmanuel II, Napoléon III, Giuseppe Mazzini et bien d’autres personnages, réels ou imaginés par l’auteur.
Une première constatation s’impose : je suis d’une ignorance crasse, vraiment crasse, sur ce pan entier de l’histoire de notre voisin. En gros que savais-je de l’Italie ? Garibaldi et la marche sur Rome, et après on passe directement à Mussolini …
Donc difficile de prétendre que j’ai vraiment tout retenu de la trame fort complexe d’intérêts divers, de magouilles, de jeux d’influences, d’aller-retour … un lecteur plus cultivé sur la question pourra sans aucun doute apprécier cette dimension qui m’a un peu échappée (doux euphémisme !).
Ce qui ne m’a pas échappé par contre c’est le souffle romanesque de cette épopée fascinante. Car au-delà de l’intérêt historique (immense, même pour un ignare), on est en premier lieu happé par les personnages, par les histoires immergées dans l’Histoire. Et c’est bien là la première réussite éclatante du roman, qui confirme le talent de l’auteur, capable de mêler histoires individuelles et histoire collective, capable de nous intéresser à une multitude de personnages, sans en sacrifier aucun. On retrouve ici toute la richesse et la puissance de Romanzo Criminale.
Et pour ceux qui se demanderaient pourquoi écrire aujourd’hui sur cette période, il suffit de lire, et de voir comment,
- mêlés à de vrais idéalistes, ceux qui gagnent à l’arrivée sont les affairistes, ceux qui veulent faire de l’argent, quel que soit le vainqueur,
- les mouvements de truands comme la mafia et la camorra savent, déjà, se mettre du côté du vainqueur,
- cette unité de façade se heurte à des préjugés entre sud et nord
pour se rendre compte que c’est en comprenant cette période de l’histoire italienne qu’on peut commencer à comprendre ce qui se passe aujourd’hui.
Pour résumer, un roman au souffle épique unique, qu’on lit avec un plaisir immense, et qui, en plus, rend un peu plus cultivé, à défaut de rendre plus intelligent.
Giancarlo de Cataldo / Les traîtres (I traditori, 2010), Métailié (2012), traduit de l’italien par Serge Quadruppani.
Je vous laisse pour un moemnt, je viens d’entamer les plus de 700 pages du dernier Deon Meyer …