Nous avons de la chance. Le quidam moyen, quand il revient de voyage, assomme ses proches avec une soirée diapos interminable (à non, ça c’était avant), avec une soirée vidéo non moins interminable, des récits humoristico-pittoresques d’où il ressort que, là-bas, c’est pas pareil qu’ici, une soirée tapas, ou wok ou couscous qui vous flingue les papilles et l’appareil digestif.
Quand il ne vous ramène pas une horreur typique certifiée fabriquée artisanalement avec le label commerce équitable, que vous ne savez plus où cacher … Quand il rentre de voyage Caryl Férey nous offre d’immenses romans noirs. Ses souvenirs d’Argentine s’appellent Mapuche.
Jana est sculptrice, mapuche, peuple indien du sud de l’Argentine et du Chili. Elle survit dans une friche, du côté de la gare principale de Buenos Aires. Une vie presque stabilisée après le chaos de la crise de 2001. Jusqu’à ce que le cadavre de Luz, travesti qui tapine sur les docks, soit retrouvé dans le Rio de la Plata. Luz était le/la protégé(e) de Paula, seul(e) ami(e) de Jana.
Rubén Calderón lui a survécu à l’enfer de la torture sous la dictature de Videla. Son père et sa jeune sœur font partie des disparus, sa mère est impliquée dans le mouvement des Folles de la place de Mai. Rubén, bloc de haine et de vengeance est devenu privé, il traque les tortionnaires pour le compte des Folles. Ces deux là n’auraient jamais dû se croiser, et pourtant …
Voilà donc Caryl Férey en Argentine. Un pays de contraste, terre de tortionnaires, terre de corruption et du marché tout puissant, mais aussi terre de résistances inouïes, terre de femmes inflexibles, et terre de poésie. Tout cela il nous le raconte. La torture, les enlèvements des enfants de « subversifs » confiés à des familles proches des militaires, « l’indulto », cette décision immonde qui, sous couvert d’une soi-disant égalité, a permis à Menem de protéger les tortionnaires, la spoliation et l’extermination des indiens, la corruption généralisée, le Marché tout puissant … Mais aussi les cafés, le tango, les paysages époustouflants, l’immensité, la dignité de ceux (et surtout celles) qui luttent …
Il faut s’appeler Caryl Férey pour tout dire, tout raconter ainsi sans jamais donner l’impression de faire la leçon, d’asséner un cours. Il faut être Caryl Férey pour que l’horreur frappe aussi fort à l’estomac, nous laissant avec la rage aux tripes. Il faut être Caryl Férey pour montrer autant de violence sans jamais tomber dans le voyeurisme ou l’étalage gratuit.
Et oui, tout le monde n’a pas cette écriture, et surtout, tout le monde n’a pas ce talent pour faire surgir deux personnages aussi inoubliables que Rubén et Jana. Pour eux vous allez trembler, rire, hurler et pleurer au gré d’une intrigue pleine de bruit et de fureur, imprégnée du passé, ancrée dans le présent. Une intrigue qui sait mêler l’Histoire et les histoires, le contexte historique et des scènes flamboyantes, la pire noirceur, la plus tendre humanité, les plus étincelants diamants.
J’espère avoir été clair, il ne vous reste qu’une chose à faire. Trouver Mapuche et le lire. Tout de suite.
Caryl Férey / Mapuche, Série Noire (2012).