Une deuxième nouveauté en septembre à la série noire avec Declan Hughes et son Coup de sang qui vient confirmer la vitalité du polar irlandais.
Ed Loy a quitté Dublin à 18 ans. Il s’est installé et a fait sa vie à Los Angeles où il est devenu privé. Aujourd’hui, il est de retour en Irlande, pour enterrer sa mère. Il retrouve une ville qu’il ne connaît pas : le boom économique a tout changé, les grues sont partout, des fortunes inimaginables se sont construites en quelques années et tout le monde semble avoir oublié le passé. Par désœuvrement, il accepte de chercher le mari de Linda Dawson, une amie d’enfance. Une quête qui va l’amener à fouiller dans les coulisses de la nouvelle prospérité, et à exhumer un passé qui ne se laisse pas oublier si facilement.
Du classique, du solide, du sûr. Un privé, un point de départ archi connu (un privé part à la recherche du mari / de la femme disparu-e-), pour une intrigue solide, de beaux personnages, de l’émotion, de l’action, des coups de théâtre, des affreux convaincants, une belle écriture … cela serait déjà suffisant à faire de ce Coup de sang un bon polar dans la tradition.
Mais ce n’est pas tout. En prime il y a l’Irlande du boom. Celle décrite par Ken Bruen ou Hugo Hamilton. Celle qui se perd dans les mirages de la consommation à tout crin, dans le tourbillon de l’argent facile, et de l’argent roi. Celle qui ne veut pas voir qu’à côté du clinquant, il y a ceux qui sont restés en rade, et qui, par contraste et parce qu’ils sont plus seuls que jamais, sont dans une situation encore pire qu’avant.
« Après tout, il y avait de l’argent dans ces rues, et les personnes qui en avaient le portaient sur leur dos, autour de leurs poignets et de leur cou. Pourquoi pas dans la bouche aussi ? Quel est l’intérêt d’avoir de l’argent si personne ne savait que vous en aviez ? Pendant trop longtemps, les Irlandais avaient eu honte de leurs fonds de culotte troués. Plus personne n’avait le droit de penser ainsi, et même si cela impliquait un carnaval de vulgarité et d’avidité ostentatoire, eh bien, n’avions nous pas attendu ce moment suffisamment longtemps ? […]
Dublin ressemblait maintenant à l’importe quelle autre ville. Je suppose que c’était le but : à un moment de notre histoire, nous avions essayé de défendre une identité irlandaise unique en nous isolant du monde extérieur. […]
Après avoir tenu à prouver que l’Irlande n’était pas une colonie appelée Grande-Bretagne de l’Ouest, nous étions désormais optimistes quand à notre recolonisation, résignés à notre destiné de 51° état des USA. »
Pour finir il y a la dimension politique du roman. Celle, dans la plus pure tradition du roman noir des origines qui parle de corruption, des liens entre crime et le monde politique. Un lien et une corruption inévitable dans un pays qui s’est enrichi si vite, et où la construction explose, tant bâtiment, pègre, politiques et pot de vin font bon ménage.
En résumé, un bon polar dans la tradition qui se révèle, en plus, un très bon roman noir.
D’accord avec Jeanjean de moisson noire, une fois de plus.
Declan Hughes / Coup de sang (The wrong kind of blood, 2006), Série Noire (2010), traduit de l’anglais (Irlande) par Aurélie Tronchet.