Je n’avais jusque là lu qu’un seul roman de Jack O’Connell (quand le verbe s’est fait). Il n’en a de toute façon pas écrit beaucoup. Il m’avait laissé l’impression d’un auteur à l’univers unique et absolument inclassable. Dans les limbes confirme cette première impression. Et confirme également que Jack O’Connell est un très grand.
Il y a Sweeney qui depuis un an veille sur son fils Danny, six ans, dans le coma. Sa femme s’est suicidée, et il vient de décider de transférer Danny dans La Clinique du docteur Peck qui, avec sa fille, a déjà réussi à réveiller deux patients plongés dans un coma profond. Sweeney a obtenu le poste de pharmacien de cet établissement très spécial de Quinsigomond, une ancienne ville industrielle en pleine décrépitude.
Il y a donc Peck et sa fille Alice qui poursuivent leurs propres buts, assez peu compréhensibles par le commun des mortels, et qui ne cherchent pas forcément le bien de leurs patients.
Il y a Buzz et ses abominations, une bande de bikers qui squattent une ancienne usine de prothèses désaffectée, et qui sont, avec leur égérie Nadia, infirmière à la Clinique, à la recherche de quelque chose à travers tout le pays.
Et pour finir il y a Chick le garçon poulet et la troupe de monstres de cirque qui peuplent les comics que lisaient Danny, et dont les aventures semblent avoir conquis le pays tout entier.
Et bien sûr, tout cela est lié. Mais comment ? Et comment Sweeney pourra-t-il, dans ce monde cauchemardesque, veiller sur son fils ?
Etranger, si tu rentres dans ce roman, tu dois laisser la raison, la rationalité chez toi. Tu dois laisser tomber les pourquoi et les comment. Tu dois accepter de te laisser entraîner dans l’univers de Buzz, le biker shooté et de Chick le garçon poulet. Si tu n’es pas prêt, passe ton chemin !
Et oui, pour rentrer dans un livre de Jack O’Connell il faut accepter de ne rien tenir pour acquis, et de se laisser aller dans son univers onirique, porté par son imagination sans limite. On est en permanence entre rêve et réalité, entre un univers gothique flamboyant et une réalité grise, entre les préoccupations les plus terre à terre et les envolées les plus lyriques, entre un monde des plus qu’humains de Sturgeon et les romans noirs les plus sinistres de la galaxie polar.
Si vous n’acceptez pas ça, vous n’entrerez pas dans ce roman. Mais si vous vous abandonnez à lui, à son rythme, à sa poésie, à sa langue, vous ne saurez sans doute pas où l’auteur vous a amené, mais vous saurez, avec certitude, que le voyage a été à jamais marquant.
Si vous acceptez un conseil du chroniqueur ébahi, ne lisez l’introduction qu’après avoir lu le roman. Non qu’elle révèle quoi que ce soit. Mais vous ne l’en apprécierai que davantage. Je n’en citerai qu’un extrait, repris d’ailleurs en quatrième de couverture : « oui ceci est un livre sur le deuil, le chagrin et la rage. Sur le coma, les revues de BD et les produits pharmaceutiques. Sur les bikers psychotiques, les neurologues fous et les monstres de cirque itinérants. Mais au bout du compte – et plus pertinemment, je crois – c’est un livre sur la moralité complexe de l’écriture elle-même, de la fabrication d’un récit, d’une histoire. »
Je ne saurais mieux dire.
Jack O’Connell / Dans les limbes, (The resurrectionnist, 2008) Rivages thriller (2009), traduit de l’américain par Gérard de Chergé.