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25 janvier 2013 5 25 /01 /janvier /2013 18:35

La première grosse claque de 2013 est américaine et publiée à la série noire. C’est un recueil de nouvelles d’un jeune auteur complètement inconnu ici. Même si vous croyez que vous n’aimez pas ce format croyez-moi, faites une exception, lisez Chiennes de vies de Frank Bill.

 

 

Bill

L’Indiana, pour ceux qui comme moi ne sont pas forcément très fort en géographie US, c’est vers le milieu, mais plutôt à l’est des US, le nord de l’état touchant les grands lacs. Voilà. Sinon c’est rural, très rural, et si on en croit Frank Bill pauvre, très pauvre.


- Un grand-père n’hésite pas à vendre ses fils aux flics et sa petite fille à un gang rival pour payer sa gnole et sa dope.


- Un autre s’engage dans une vendetta sanglante contre un gang rival pour venger les violences faites à sa petite fille.


- Un flic décide de venger sa femme et sa fille tuées par un junkie en manque.


- Un gang ultra violent d’origine salvadorienne commence à s’implanter dans le commerce local de meth.


- Des anciens combattants du Vietnam, et plus tard d’Afghanistan pètent complètement les plombs.


- Un homme se rend, rongé par la culpabilité d’avoir aidé sa femme atteinte d’un cancer incurable à mourir …


- Et quelques autres.


Première grosse claque donc, de celles qui vous laissent KO, les yeux embués, les oreilles qui sifflent … Nouvelle après nouvelle, sa secoue très fort. Il y a un an à peu près la série noire nous balançait dans la figure le baquet d’eau glacé de La belle vie de Matthew Stokoe, cette année c’est le paquet de braises brulantes de Chiennes de vies. Dans un tout autre style, mais ça secoue aussi.


Pourtant elles sont courtes ces nouvelles, pas de serial killer machiavélique, pas de profileur, pas de secrets des templiers, ni de la concierge du beau-frère de Jésus, et personne ne résout le théorème de Fermat (j’arrête, c’est gratuitement méchant).


Non, dans ses nouvelles il n’y a qu’une humanité rugueuse rendue méchante, salement méchante par la pauvreté et la misère culturelle et morale. Une humanité qui s’est repliée, au mieux, sur des valeurs de clan (je protège ma famille, mon gang) au pire sur la seule satisfaction individuelle et immédiate. Ce qui fait que le monde extérieur ne se juge qu’avec un seul critère : l’autre est-il plus ou moins fort que moi, est-ce lui qui va me manger (voler, violer, battre …) ou est-ce moi ?


La grande force de ces récits est de faire passer cela sans le moindre pathos, sans jamais émettre un jugement, par la seule force de l’écriture. Et quelle force ! Peu d’auteurs savent en quelques mots faire vivre un personnage, et en particulier un personnage de brute. Deux phrases et on voit ces hommes, durs comme la pierre, aux mains calleuses, visages creusés de rides, vêtements crades, bouillonnant de colère, prêts à exploser à tout moment. Ils sont absolument effrayants, la violence qu’ils font subir aux femmes et enfants qu’ils croisent insupportable … Et pourtant, par moment, au détour d’une phrase, on arrive presque à les comprendre. Pas les aimer, pas leur pardonner, juste les comprendre.


Je sais que certains n’aiment pas le format des nouvelles. Si cela peut vous convaincre, sachez seulement que ce recueil est « construit ». Que certains personnages se retrouvent d’un texte à l’autre, et que, même si on n’a pas ici un roman en continuité, l’ensemble forme un tableau totalement cohérent. Le portrait d’une zone violente, abandonnée, régie par la loi du talion et l’appât du gain.


Je ne sais pas si l’auteur a publié autre chose chez lui, je sais par contre que Chiennes de vies est un véritable coup de maître qui le hisse, sur ce recueil, au niveau des grands écrivains de l’Amérique rurale, de Chris Offut à Daniel Woodrell en passant par Ron Rash ou du regretté Larry Brown. Et je pèse mes mots (si vous n’avez rien lu des quatre auteurs suscités, direction la bibliothèque la plus proche. TOUT DE SUITE !).


Frank Bill / Chiennes de vies (Crimes in southern Indiana, 2011), Série Noire (2013), traduit de l’américain par Isabelle Maillet.

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commentaires

U
<br /> C'est peu dire que tu avais raison d'applaudir ces Chiennes de vie. Brutal, sans concession, quelle claque ! Et quelle superbe écriture froide et précise. Pas un mot de trop pour des phrases qui<br /> claquent. Très efficace aussi la construction en nouvelles qui se recoupent plus ou moins, histoire de faire le tour de cet univers de paumés auxquels il ne reste que la violence de combats<br /> perdus d'avance. On se croirait dans Délivrance.<br /> <br /> <br /> Merci du conseil. Je viens d'acheter le Carlotto. Si c'est ne serait-ce que moitié aussi bon que ce que tu en dis.... On en reparle.<br />
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J
<br /> <br /> Chuis pas inquiet, on en reparlera. Et alors je te conseillerai deux autres titres de Carlotto.<br /> <br /> <br /> <br />
L
<br /> Je suis entrain de le lire. J'avais peur que ce soit trop dur, trop violent, trop sanglant, trop, quoi et en fait non. Pourtant, ça l'est, dur, violent, sanglant. Mais ces situations sont<br /> contrebalancées par une humanité 'in last", un certain humour. Je suis d'accord avec toi. C'est un auteur de talent, ce petit Frank Bill. Merci pour la prescription "à vos ordres chef". Sans<br /> celle-ci, je serais sûrement passée à coté de ce petit chef d'oeuvre.<br />
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J
<br /> <br /> Je suis enchanté qu'il te plaise !<br /> <br /> <br /> <br />
N
<br /> Je voulais juste te signaler que dans la journée, en recherchant ce billet via ton index des auteurs, je me suis aperçu qu'il n'y était pas référencé, pas de "Bill" dans les B donc. Voilà,<br /> c'était juste pour l'info, et ça m'a rappelé au passage qu'il y avait eu aussi un ou deux autres billets que je n'avais pas retrouvés il y a quelques temps, mais je me souviens plus lesquels.<br /> <br /> <br /> Pour le dernier Aubert, La ville des serpents d'eau, par exemple, tu n'avais pas écrit un quelque chose ?<br />
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J
<br /> <br /> Ce qui se passe c'est que je suis un peu fainéant dans la mise à jour des liens ... Et donc je n'ai pas encore référencé une bonne quinzaine de notes.<br /> <br /> <br /> Apr contre Aubert devrait y être, je vérifie.<br /> <br /> <br /> <br />
L
<br /> Dont acte.<br /> <br /> <br /> J'obéis.<br /> <br /> <br /> Le doigt sur la couture du pantalon.<br /> <br /> <br /> Faudrait pas qu'on l'énerve, notre petit blogueur préféré.<br /> <br /> <br /> Et puis ça me fera peut-être oublier les 2 dernières catastrophes "littéraires " que je viens de finir. (= "la vérité sur l'affaire Harry Québert "/ Joël Dicker et "Les apparences / Gillian<br /> Flynn).<br /> <br /> <br /> Où t'en es de tes lectures à tes mistons ?<br />
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J
<br /> <br /> Très bien ! C'est comme ça que j'aime mes visiteurs.<br /> <br /> <br /> Les deux cata, je les ai soigneusement évité, au pif, il semblerait que j'ai eu le nez creux. D'autant plus que le dernire Craig Johnson est un vrai régal, le dernier Carlotto itou et que j'en ai<br /> encore quatre ou cinq devant moi qui me font saliver.<br /> <br /> <br /> Sinon, avec les mioches je ralentis, faute de temps, entre le collège du grand, le hand et l'escrime pour eux, le boulot pour moi ... On a commencé Golem de Marie-Aude Murail, un<br /> peu long au démarrage mais maintenant c'est accroché.<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> Salut Jean-Marc,<br /> <br /> <br /> Bon billet, bonne pioche pour ce Frank Bill. Pour ma part, si ces "chroniques" m'ont tout de même inspiré de temps à autre quelques réserves minimes, l'énergie brute du livre suffit à balayer ces<br /> doutes fugaces. C'est déjà énorme. Les similitudes au niveau de l'ambiance lumpenprolo hyper-virile sont plutôt à rechercher, me semble-t-il, du côté d'Elwood Reid ou de Craig Davidson. Et puis<br /> Pollock, bien sûr. Je ne puis que t'inciter à te procurer la réédition en poche de Knockemstiff, qui sort mi-février chez Libretto. Tu devrais te régaler, d'autant que pour le coup, la trad' de<br /> Garnier est très en phase avec son sujet...Pour en revenir à Frank Bill, son premier roman, Donnybrook, paraîtra en mars outre-Atlantique (et à la SN vraisemblablement l'année prochaine). Une<br /> véritable tuerie, au sens propre comme au figuré. Si tu relis l'avant-dernière nouvelle du recueil, le titre te fournira une petite idée du contenu à venir ;-).<br /> <br /> <br /> Amitiés.<br /> <br /> <br /> Antoine.<br />
Répondre
J
<br /> <br /> Je vais donc essayer de me rattraper sur Pollock. Et j'attends donc avec impatience le futur roman. Surtout si c'est toi qui annonce un très gros morceau, je ne peux que m'attendre au pire !<br /> <br /> <br /> Amitiés.<br /> <br /> <br /> <br />

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