On se demandait s’il avait définitivement cessé d’écrire pour se consacrer entièrement à la traduction. Ben non, il écrit toujours, et il n’a rien perdu de son originalité. Antoine Chainas nous revient enfin avec Pur.
Quelque part du côté de Cannes ou Nice, dans un futur très proche … Les résidences fermées et sur sécurisées ont prospéré. Des consortiums européens et même mondiaux louent à prix d’or les villas et les services à des clients triés sur le volet. C’est d’ailleurs le boulot de Patrick : créer des questionnaires suffisamment efficaces et suffisamment faux-culs pour permettre aux résidents de ne choisir que des gens comme eux (pas question qu’un métèque, même riche, vienne s’installer dans ces petits paradis), sans pour autant pouvoir tomber sous le coup d’une quelconque loi sur la discrimination. Tout un art. Que maîtrise Patrick, jeune homme propre sur lui, en excellente santé, de plus en plus à l’aise financièrement. Il forme avec Sophia un couple de publicité : beaux, jeunes, heureux … Jusqu’à l’accident. Leur voiture fait une sortie de route, Sophia est tuée sur le coup.
Juste avant, sur l’aire d’autoroute, deux jeunes arabes les avaient un peu provoqués, puis rattrapés avec leur bolide. Patrick semble persuadé qu’ils sont responsables de l’accident. Dans un contexte de tensions grandissantes, où des groupuscules d’extrême droite tiennent le centre-ville, où un sniper a déjà tué quatre maghrébins sur l’autoroute, et où un maire joue pour sa réélection la carte de la peur et des troubles, l’affaire ne peut être qu’explosive.
Retour en fanfare pour Antoine Chainas. Tout au long du roman j’ai pensé à un film, La Zona, dont j’avais parlé ici. Le traitement est bien entendu différent, mais la thématique centrale est la même.
Comme souvent dans ses romans, Chainas fait juste un petit pas de plus. A partir de la situation dans sa région de la Côte d’Azur, il imagine juste ce que cela pourrait être dans quelques années, si les résidences devenaient juste un peu plus fermées, si les tensions étaient juste un peu plus marquées, si le discours dominant était juste un peu plus assumé. Autant dire que, s’il dépeint une situation imaginaire, c’est aussi un avenir très probable.
Il le fait à sa façon, très personnelle, en construisant un suspense très bien construit et extrêmement froid, glacial même, autour de personnages particulièrement déplaisants ! Comme toujours pas de cadeau, le seul qui soit à peu près honnête et pas complètement pourri est entré dans une spirale d’autodestruction (ceci dit, au sein de ce monde, les raisons de s’autodétruire ne manquent pas).
Comme toujours aussi, il adapte son style au discours : Dans un monde qui veut tout contrôler, éliminer celui qui est différent, tout surveiller, son style se fait froid, plus « classique » que, par exemple, l’ouverture de Versus … Cela rendra peut-être ce roman plus accessible que certains autres tout en étant, disais-je en parfaite adéquation avec le fond. Pour vous faire une idée, ouvrez le roman, la scène d’ouverture est magnifique et donne parfaitement le ton.
Le résultat fait froid dans le dos. La logique d’enfermement, de retrait du monde des résidences sécurisées est parfaitement décrite, ses effets délétères implacablement démontés par la narration. Là encore, il ne s’agit que de faire un pas de plus par rapport à notre société qui façonne, de plus en plus, des petits groupes « homogènes » qui se côtoient de moins en moins. Il décrit des logiques où ce cloisonnement est accentué, et surtout activement recherché. Et montre à quelle aliénation volontaire cela conduit. Entre autres thématiques, mais c’est là celle qui m’a le plus marqué.
Le grand retour donc d’Antoine Chainas, un des auteurs français les plus originaux et intéressants de ces dernières années, qui nous propose un futur possible, très possible, déjà fortement engagé. Il ne tient qu’au lecteur de lire, trembler et pourquoi pas tenter d’infléchir le cours des choses …
Antoine Chainas / Pur, Série Noirel (2013).