En cette période de fêtes, mais aussi de froid et de neige (du moins pour certains), une lecture encore plus froide, encore plus neigeuse, et qui n’a rien, mais alors rien de festif : Empereurs des ténèbres de l’espagnol Ignacio del Valle.
Hiver 1943 sur le front russe. La Division Azul des volontaires espagnols est bloquée face à Leningrad, en attente de la contre attaque soviétique. Le froid, les dissensions entre phalangistes et militaires franquistes, les relations difficiles (pour ne pas dire plus) avec les soldats allemands, et en particulier avec les SS … L'enfer glacé est déjà sur eux. Un enfer qui empire quand un soldat espagnol est retrouvé égorgé, un phrase inscrite sur son épaule « prend garde, Dieu te regarde ». L'ex lieutenant Arturo Andrade, homme violent en proie à ses propres démons va enquêter, malgré l'absurdité qu'il y a à « se soucier d'un mort quand des millions d'hommes sont en train de se massacrer ».
Jeanjean, qui a aussi aimé, a trouvé le meilleur titre pour cette chronique, tant pis, j’en ai trouvé un autre pour vous souhaiter bienvenue en enfer. Le froid, définit non plus comme un manque de chaleur mais comme une force compacte, la folie, le fanatisme religieux, la peur des partisans, la peur encore plus forte des SS, machines à tuer inhumaines … Voilà la toile de fond de ce polar qui glace le lecteur jusqu'à la moelle.
Pas de rédemption ici, pas de lueur, pas de sérénité. On a froid, faim, peur … pas de héros, on s'en doute bien. Mais des hommes, violents, fanatisés ou parfois, simplement, incultes. Des hommes qui parfois se sont juste laissé tromper, enrôler. Une plongée en enfer, un enfer glacé, mais un enfer quand même.
L’écriture, hypnotique, fait sentir, de façon charnelle, les éléments, l’immensité de la plaine russe, sa désolation, la lumière crépusculaire ou la folie d’un chien et de ses maîtres. L’intrigue coule au ralenti, comme un liquide sur le point de se solidifier. Et le lecteur français découvre des pans peu connus de l’histoire du XX° siècle (même quand on sait que des espagnols se sont engagés au côté des nazis), avec les guerres internes entre phalangistes et franquistes ou le point, aujourd’hui inconcevable, de fanatisme religieux de ces engagés de la division azul.
Décidément, un grand bouquin, passionnant à tous points de vue, à conserver quand même pour un moment où on a le moral au beau fixe.
Ignacio del Valle / Empereurs des ténèbres (El tiempo de los emperadores extraños, 2006), Phébus (2010), traduit de l’espagnol par Elena Zayas.