Voilà une lecture qui vient à point, après la déception des Visages. A point parce ce que tout ce qui m’a déçu dans le roman de Kellerman est, de mon point de vue totalement partial, exceptionnellement réussi ici. Il s’agit du dernier Gianrico Carofiglio, intitulé Les raisons du doute.
Guido Guerrieri est sur le point de replonger dans sa déprime. Sa copine le quitte pour un an (un très bon poste à New York), il a plus de quarante ans, toujours pas d’enfant, et il lui semble qu’il commence à arriver au moment où il ne supportera plus son boulot d’avocat pénaliste. Ce ne sont pas les dispositions idéales pour prendre en main la défense de Fabio « Ray-Ban », arrêté à la frontière avec plus de quarante kilos de cocaïne cachés dans sa voiture.
D’autant plus que Guido connaît Fabio. Dans les années 70, il faisait partie d’un groupe de néo fascistes qui terrorisaient Bari. Ils avaient même tabassé Guido … Mais quand c’est l’éblouissante femme de Fabio qui vient le lui demander, Guido accepte, une fois de plus, un procès en apparence perdu d’avance.
Pourquoi suis-je tellement touché par Guido Guerrieri et tellement indifférent au destin d’Ethan Muller ? Après tout, ma vie est aussi éloignée de celle d’un avocat pénaliste de Bari que de celle d’un propriétaire de galerie d’art de New York.
Il y a sans doute la question des références culturelles. Celles de Kellerman ne me parlent pas. Carofiglio cite, pour conclure son roman, la réplique finale de Casablanca. Ca oui, ça me parle. Ensuite il y a l’humanité des personnages, transmises par l’écriture. Les deux doutent, dépriment, mais Ethan est froid, désabusé, hautainement détaché, chaleureux comme une endive ; Guido est capable de passer une nuit à boire des bières et à jouer aux cartes avec de petits truands, juste pour le plaisir de la chaleur humaine. Il y a la capacité de chaque auteur à transmettre une émotion, une sensation : quand Ethan aime, déteste, a peur, je ne partage rien. Quand Guido tremble, je tremble, quand il tombe amoureux, moi aussi, et quand il pense à Fernande …
Mais arrêtons là, et revenons en au roman, et à son titre, Les raisons du doute. Un doute qui, une fois de plus se trouve au centre d’un roman de Carofiglio. Par la voix de son personnage, c’est bien le combat du doute contre la certitude aveugle que mène l’auteur. Toujours de façon aussi limpide, fine et intelligente.
Outre le doute, et, comme dans les romans précédents, la description sans pitié (mais non sans humanité) du système judiciaire italien, l’auteur explique via son personnage son amour de la littérature, son besoin viscéral de conter des histoires. Voilà ce que dit Guido lors de sa plaidoirie :
«Un philosophe a dit que les faits, les actions en soi, n’ont aucun sens. Seul le texte du récit des événements et des actions accomplies dans le monde peut en avoir un.
Nous autres inventons des histoires, et pas seulement dans les procès, pour donner un sens à des faits qui n’en ont aucun en soi. Pour tenter de mettre de l’ordre dans le chaos. Les histoires, à y bien réfléchir, sont tout ce que nous possédons. »
Cela est bel et bon, mais ne suffirait pas à faire un bon roman. Ce roman est grand, parce que l’écriture est limpide, parce que l’humour fait mouche, et parce que la construction est irréprochable et le suspense insoutenable. Impossible de refermer le bouquin avant la fin dès qu’on a entamé la description du procès final. Et ce procès, plus on en approche, plus on frémit. J’ai dû plusieurs fois me forcer à refermer le bouquin à la fin d’un chapitre pour faire durer le plaisir et ne pas aller trop vite.
Ce roman est aussi intéressant parce que son propos va à l’encontre de ce que l’on lit habituellement. Comme dans Témoin involontaire (le premier de la série), il ne s’agit pas ici de trouver un coupable, mais de sauver un homme que tout accuse. De remplacer la certitude et l’évidence par … le doute (le revoilà).
Et puis il y a Guido. Impossible de ne pas aimer ce faux dilettante, ce déprimé ironique capable de faire le coup de poing et de rassurer une petite fille dans son cauchemar. Un homme dont la dernière phrase est celle-ci : « Louis, je pense que c’est le début d’une belle amitié ». La citation de Casablanca n’est bien évidemment pas là par hasard. Elle vient conclure une histoire qui est, entre autres choses, un beau clin d’œil à ce film mythique. Mais je vous laisse lire le roman pour le découvrir.
Ce n’est qu’un petit (ou grand) plaisir de plus. Tout le roman est un vrai bonheur.
Gianrico Carofiglio / Les raisons du doute (Ragionevoli dubbi, 2006), Seuil/Policiers (2010), Traduit de l’italien par Nathalie Bauer.