Hervé Le Corre est un auteur rare. Après Les cœurs déchiquetés, on attendait depuis cinq ans. Cela valait la peine, Après la guerre est une magnifique réussite.
Bordeaux dans les années cinquante. Les plaies de la guerre sont loin d’être cicatrisées et une autre pointe son nez, au sud, en Algérie. Le commissaire Darlac est une pourriture. Collabo il a réussi à passer au travers de l’épuration de la libération et, grâce à un réseau de pourris de tous types, chez les flics autant que chez les truands, il tient la ville malgré ceux qui voudraient bien avoir sa peau. Daniel a vingt ans, il travaille dans un garage et s’apprête à partir en Algérie. Ses parents ont été pris dans une des dernières rafles de la guerre et sont morts dans les camps. Un jour un homme débarque au garage, pour faire réparer une moto. Un revenant qui va faire remonter à la surface ce que tant de gens veulent cacher. Pendant ce temps, en Algérie …
Il y a les polars prêt à porter, tout-venant. Hervé le Corre livre ici le haut de gamme du sur-mesure dans la grande tradition. Le classique dans sa perfection, un peu comme les meilleurs films de Clint Eastwood … Cela paraît presque simple, ou naturel, tant la richesse et la puissance du roman s’appuient sur une écriture et une construction qui évite toute esbroufe pour se concentrer sur l’essentiel.
L’essentiel commence avec les personnages. Le flic pourri, ses comparses, sa famille ; Daniel et ses peurs, ses doutes face à la guerre, la difficulté de rester fidèle à des valeurs pas toujours très claires à vingt ans quand on est confronté à la souffrance, la peur, la mort ; et les autres, marqués par le passé, fracassés, révoltés ou résignés, valeureux, lâches, pourris … Des personnages complexes et incarnés, dont on ressent les doutes, les rages, les envies et qui portent le roman tout au long de ses cinq cent pages.
La ville de Bordeaux ensuite, sale, à peine sortie de la guerre, peinant à digérer ses traumatismes et ses trahisons, à l’image du pays. Une ville grise et humide, dont les rues sombres sentent non pas le grand cru mais la vinasse et la vase de la Gironde.
Tous ces personnages, la ville, mais aussi l’Algérie participent à une danse macabre, lente spirale qui, au gré d’une intrigue éclatée entre les différents protagonistes entraine le lecteur vers un final inévitable. Comme dans la spirale, les différents bras tournent les uns autour des autres, se rapprochant petit à petit d’un centre qui ne peut être que tragique.
A tous ces ingrédients qui, à eux seuls, donneraient déjà un excellent polar il faut ajouter la saisissante peinture de toute une époque historique trouble. Cette époque où les vilains secrets de la guerre, les compromissions de la collaboration, les petits arrangements de la libération, les rancœurs et les haines qui en découlent, les envies de vengeance où les douleurs insupportables se mêlent à d’autres drames en devenir en Algérie.
Hervé le Corre excelle dans la description ô combien difficile de toutes ces souffrances. Il excelle car il arrive à écrire l’indicible de façon crédible, sans tomber dans le voyeurisme ni le pathos dégoulinant. Il émeut, terriblement, dans la dignité. Et cela donne une très grande force à ses personnages et à son roman.
Nous avons attendu cinq ans, cela valait la peine, un grand roman à découvrir absolument.
Hervé Le Corre / Après la guerre, Rivages/Thriller (2014).