« Ma mère m’a donné ce cadeau et cette malédiction : l’obsession ».
Vous n’avez certainement pas oublié que d’ici maintenant 10 jours j’aurai l’honneur et le privilège d’animer une rencontre avec James Ellroy himself. Honneur certes, mais un peu flippant, l’animal étant capable du meilleur comme du pire, selon la préparation de l’intervieweur. Pour mettre toutes les chances de mon côté, j’ai donc commencé à réviser avec Ma part d’ombre que je n’avais pas lu à l’époque de sa sortie. Histoire de me mettre en jambes avant d’attaquer La malédiction Hilliker.
A l’époque j’avais plus ou moins lu les comptes-rendus dans la presse qui parlaient de son enquête sur la mort de sa mère, assassinée à L.A. quand il avait dix ans. Le moins que l’on puisse dire est que c’est un brin réducteur.
Quatre parties dans ce roman/témoignage.
La première reprend la chronologie de l’enquête originale, de la découverte du corps au moment où l’affaire est classée, au milieu de tant d’autres non élucidées. Le petit James Ellroy n’y est qu’un témoin parmi tant d’autres. Un témoin qui pleure peu, et se trouve assez content d’aller vivre définitivement avec son père.
La deuxième est totalement autobiographique, racontée à la première personne. Sans aucune pudeur et sans la moindre complaisance elle retrace la descente aux enfers de l’auteur, de la découverte du corps jusqu’à la publication de son premier roman. Fantasmes, obsession (on y reviendra), alcool, drogue, provocations … Tout est mis à plat, impitoyablement.
La troisième présente la carrière de Bill Stoner, le flic qui l’aidera à reprendre l’enquête. Le lecteur assiste à une accumulation de meurtres, de viols, de violences faites aux femmes et aux enfants. Une accumulation lancinante, obsédante.
Enfin la quatrième partie raconte, de nouveau à la première personne, l’enquête menée trente ans après les faits par James Ellroy et Bill Stoner pour retrouver l’assassin de Geneva Hilliker, devenue Jean Ellroy. L’enquête sur le meurtre qui se transforme, petit à petit, en une quête sur la vie de sa mère que l’auteur découvre enfin, plus de trente ans après sa mort.
A la lecture de ce pavé, et en attendant de voir ce que donne La malédiction Hilliker, une question taraude le lecteur. Pourquoi cette autofiction (puisque c’est comme ça que ça s’appelle maintenant non ?) est-elle passionnante alors que celles de nos jeunes (et moins jeunes) auteurs français sont aussi chiantes ? Voici quelques pistes de réponses :
1. James Ellroy a une putain (désolé, c’est lui qui m’a contaminé) d’écriture ! Ca commence par là. Une écriture en parfait accord avec cette fameuse obsession léguée par sa mère. Une écriture lancinante, répétitive … obsédante. On y rentre ou pas, mais si on est happé il est très difficile d’en sortir.
2. James Ellroy s’est lancé dans l’exercice alors qu’il avait déjà une œuvre impressionnante derrière lui. Du coup le lecteur a envie de savoir quel type de vie a pu mener un bonhomme qui écrit de tels romans, envie aussi de savoir ce qui se cache derrière la bête de scène qui fait son show (outrancier) dès qu’on le titille un poil. Et tout est dit dans le bouquin sur ses obsessions (encore), sur son besoin maladif d’exister (mieux vaut être haïs qu’ignoré), sur l’origine de ses provocations, mais aussi, entre les lignes, sur ses opinions plus sincères. Au passage, les indignés professionnels qui clament à tout va que beurk Ellroy est un vilain raciste, misogyne, machiste, homophobe, antisémite … devrait peut-être lire ses bouquins ou parler de sujets qu’ils maîtrisent mieux.
3. Même s’il parle de lui et de sa mère, Ellroy élargit le champ et nous livre une véritable description de Los Angeles et de son évolution au cours du XX° siècle, une peinture de sa police, des média, des relations hommes-femmes, des névroses de ses concitoyens … Donc le propos est beaucoup plus riche qu’on ne pourrait le croire au départ.
Voilà, je fais une pause de quelques jours pour éviter l’overdose, et je me plonge dans La malédiction Hilliker.
James Ellroy / Ma part d’ombre (My dark places, 1996), RN (1997), traduit de l’américain par Freddy Michalski.