« Ma mère m’a donné ce cadeau et cette malédiction : l’obsession ».
Cette malédiction, James Ellroy lui donne un nom : La malédiction Hilliker.
De son rapport complexe avec sa mère, on croyait tout savoir depuis Ma part d’ombre. Son amour et son obsession pour les femmes, on pensait les connaître depuis le Dalhia Noir. On les savait rédemptrices comme Lynn de LA confidential qui « sauve » Bud White. Avec Underworld USA, elles passent au premier plan de son roman.
La malédiction Hilliker nous raconte tout, tout ce qu’on ne savait pas encore, tout sur James Ellroy et les femmes en général, James Ellroy et quelques femmes en particulier. Mais pas seulement. Tout au long des six parties consacrées à celles qui ont le plus compté, de sa mère à sa dernière compagne, l’auteur se livre, complètement, parle de ses obsessions, de son rapport à l’écriture, de ses derniers romans, de ses souffrances, de ses erreurs … L’expression est galvaudée mais je n’en trouve pas de plus adaptée, il se met littéralement à nu, en grand exhibitionniste timide qu’il est.
Je pourrais ici reprendre ce que j’ai écrit sur Ma part d’ombre au sujet des autofictions. Comme la précédente, celle-ci est passionnante parce que l’auteur est James Ellroy, auteur incontournable, personnage hors norme … Un personnage de roman pour tout dire.
Et c’est le roman de sa vie qu’il écrit. Roman passionnant car, outre ses relations avec les femmes, il y raconte sa relation avec le public, la maîtrise parfaite de son show et de ses provocations. Il y raconte son incapacité à être heureux très longtemps. Il y raconte ses amours, bien entendu (et les amours d’Ellroy ne sont pas faites pour la collection Harlequin …). Et il y raconte la genèse de ses livres, et plus précisément des derniers.
Il y dit l’influence des femmes, ses intentions stylistiques, il y dit surtout l’importance primordiale chez lui de la narration. Une narration indispensable à ses romans, mais indispensable même à sa propre survie. On a même l’impression qu’il ne se sent exister, que sa vie n’a de sens que lorsqu’il lui trouve un fil narratif. D’où peut-être (sans doute ?) la nécessité de ce bouquin.
Pour finir, il reste la prose Ellroy. Obsédante (encore), hallucinée, lancinante, explosive et pourtant totalement maîtrisée. Un prose qui oblige parfois à accélérer la lecture, ou qui, comme dans le récit de sa dépression, en arrive à être épuisante à lire tant il fait passer dans son rythme sa propre frénésie.
Bref un ouvrage indispensable pour tous ceux qui, de près ou de loin, s’intéresse à l’homme et à son œuvre.
On en reparle la semaine prochaine, après ma rencontre avec le personnage.
James Ellroy / La malédiction Hilliker (The Hilliker curse, 2010), Rivages/Thriller (2011), traduit de l’américain par Jean-Paul Gratias.