Avec Empereur des ténèbres, roman reconnu par la critique et premier prix Violeta Negra du festival Toulouse polars du Sud, Ignacio del Valle nous avait plongés dans l’enfer blanc et gelé du siège de Leningrad à la suite de son personnage Arturo Andrade, soldat de la Division Azul engagé auprès de l’armée allemande. On le retrouve dans Les démons de Berlin, assistant aux derniers jours du régime nazi dans un Berlin à feu et à sang.
Arturo Andrade a donc miraculeusement survécu à la débâcle allemande face à Leningrad. Contrairement à la majorité des soldats engagés dans la Division Azul il a décidé de rester à Berlin auprès de l’ambassade espagnole. Quand un des scientifiques travaillant sur l’arme nucléaire est assassiné, les SS qui ont pu apprécier ses capacités d’enquêteur lui demandent de collaborer avec la police et leurs propres forces pour trouver le coupable. De leur côté les franquistes sont intéressés par ce programme. Ils aimeraient bien savoir s’il reste une infime chance que l’Allemagne gagne la guerre, histoire d’être surs de choisir le bon camp … Pris entre les SS, la police et la Gestapo d’un côté, les franquistes et les phalangistes de l’autre, sans compter les soviétiques aux portes de la ville, Arturo va enquêter, hagard, dans un décor de fin du monde.
Autant Empereurs des ténèbres était blanc et gelé, autant Les démons de Berlin est rouge et noir, et brûlant. Noir de la suie et des décombres, rouge du sang et des flammes. Autant le premier semblait anesthésié par le froid et le gel, autant celui-ci résonne du fracas assourdissant des canons.
Impressionnante reconstruction historique, digne des tableaux les plus hallucinés. Feu, sang, fer, vacarme et folie furieuse, meurtrière et mystique. Folie du dernier cercle autour d’Hitler, folie de SS complètement fanatisés, folie d’une certaine aristocratie allemande plus ou moins mystique, plus ou moins cynique. Folie et rage du pillage, du viol, de la misère absolue … Et à l’arrivée toujours les mêmes qui trinquent, qui ont subi la folie nazie (même s’ils ont adhéré en partie), puis les bombardements, et finalement le saccage par l’armée rouge.
Emporté par cet ouragan l’enquête avance mais reste secondaire, de même qu’est de plus en plus secondaire l’attachement d’Arturo à son Espagne natale et à ses propres luttes et démons (fanatisme religieux, rivalité entre Phalange et franquistes). Tout est balayé par la déraison nazie et l’horreur de la guerre.
Dans cet enfer Arturo regarde le Mal dans le fond des yeux, souhaitant de tout cœur découvrir qu’il est d’une nature inhumaine. Hélas, chez les SS les plus fanatiques et les manipulateurs illuminés les plus cyniques il ne voit … que des hommes.
Une confirmation douloureuse et dérangeante. Mais une confirmation indispensable pour ceux qui pourraient (et voudraient) croire que ce Mal absolu ne fut possible qu’à cet endroit là, à ce moment là et que nous en sommes à jamais protégés.
Au milieu de cette démence, des scènes d’une humanité rare surnagent. Et l’auteur nous fait le cadeau d’une image finale d’une beauté surréaliste et bouleversante.
Ignacio del Valle / Les démons de Berlin (Los demonios de Berlin, 2009), Phébus (2012), traduit de l’espagnol par Karine Louesdon et José-Maria Ruiz-Funes.