Revenons à la littérature …
Barouk Salamé était jusqu’à il y a peu l’auteur mystère de deux thrillers mêlant de façon intelligente (et non putassière comme certains autres) histoire des religions, monde moderne et suspense policier. Il se livre aujourd’hui dans un roman qui, s’il a pour narrateur Serjoun Sarfaty personnage des deux premiers romans, semble tout de même fortement autobiographique. Et pas du tout policier même s’il paraît chez Rivages thriller. Un roman qui raconte l’enfance de Serjoun pendant la guerre d’Algérie : Une guerre de génies, de héros et de lâches.
La famille du narrateur est en Algérie depuis des générations quand Serjoun décide d’écrire ses mémoires, en cet été 1962. Ils sont juifs, très à gauche et engagés dans la lutte pour l’indépendance. Les parents de Serjoun ne sont d’ailleurs jamais là, à fond dans la lutte aux côtés du FLN, et il est élevé par une grand-mère exceptionnelle, partisane de l’indépendance mais dans un pays laïc, de gauche et débarrassé de l’influence des militaires. D’Alger aux hauts-plateaux sahariens, puis à Oran fief de l’OAS, Serjoun va vivre de près tous les événements de la fin de la guerre. Et les raconter avec son point de vue d’enfant prodige.
Donc non il ne s’agit pas du tout d’un polar. Pas du tout. Il n’y a pas de tension narrative particulière, aucune trame policière ou enquête. C’est un roman historique construit sur le modèle des mémoires d’enfants (ou d’adolescent). Ce n’est ni mieux ni moins bien, c’est juste différent.
Sans crier au génie du point de vue littéraire, le roman est bien écrit, bien construit et se lit donc, indépendamment de son intérêt historique, avec facilité, fluidité et plaisir. Mais il est surtout extrêmement intéressant sur le fond. Surtout pour quelqu’un comme moi qui n’a qu’une connaissance très superficielle de ce qui s’est passé en Algérie pendant cette guerre. Ou qui en connait essentiellement l’histoire officielle et la partie sombre française (grâce entre autres aux polars de gens comme Didier Daeninckx).
J’ignorais tout (même si je m’en doutais un peu) des luttes fratricides entre les mouvements d’indépendance algériens. Je ne connaissais pas les différents programmes, les différentes factions, ceux qui voulaient une Algérie laïque et multiculturelle, le rôle des combattants de l’extérieur etc …
Donc j’ai eu l’impression d’être un peu moins ignare à la fin du bouquin, et de comprendre un peu ce qui s’est passé par la suite, ou du moins un peu plus. Pourquoi, me direz-vous (ou pas), ne pas lire alors un essai ? Et vous aurez sans doute raison. Mais c’est comme ça, j’aime qu’on me raconte des histories (je dois être un peu feignasse), et j’aime beaucoup qu’en me racontant une histoire on me rende moins couillon. Ce que fait ce roman, que je conseille donc.
Barouk Salamé / Une guerre de génies, de héros et de lâches, Rivages/Thriller (2012).