En quelques années et autant de romans, Ron Rash s’est installé dans le paysage. Une terre d’ombre, son dernier roman traduit, confirme sa place dans le roman noir américain rural, au côté d’auteurs comme Daniel Woodrell, Larry Brown ou Chris Offut.
Eté 1918. Dans un vallon perdu et sombre, d’un coin paumé des Appalaches, Laurel et son frère Hank tentent de faire vivre la ferme familiale. Les deux sont marqués : Hank a perdu une main dans les tranchées. Laurel est mise à l’écart de la communauté, victime de la connerie et de la superstition : une tâche de naissance la fait passer pour une sorcière aux yeux des voisins. Pour compléter le tableau, à quelques rares exceptions près, tous pensent que ce vallon toujours à l’ombre est maudit. A l’entrée de l’automne, alors que Laurel redoute l’hiver à venir, ils recueillent Walter, un jeune homme muet trouvé dans les bois. Muet, mais musicien et capable de tirer une musique divine de sa flute en argent. Une possibilité de bonheur ? C’est sans compter, une fois de plus, sur l’ignorance, la bêtise et l’envie.
Cela va devenir une évidence de l’écrire, mais c’est encore un très grand roman de Ron Rash. Qui boucle (un peu) avec son premier traduit en France, puisqu’il s’ouvre sur la prospection d’un homme qui vient inspecter une vallée qui sera engloutie sous les eaux d’un barrage (thème de Un pied au paradis).
Encore donc un superbe roman, beau, émouvant, humaniste, rageur, lucide, lyrique … Les adjectifs manquent. L’auteur écrit une magnifique histoire d’amour, ainsi qu’un roman sur le travail d’une terre âpre et dure. Il excelle autant dans les descriptions d’un paysages austère qui peut, à l’occasion, s’embellir de façon inespérée sous un rayon de soleil que dans celles du moment hors du temps d’un partage musical. Et à côté de cette grandeur et de ce lyrisme, l’horreur de la bêtise, de l’ignorance, de la superstition et de la méchanceté est d’autant plus forte.
Car il y a tout ça dans Une terre d’ombre. La dignité d’êtres humains, dignité du travail partagé dont on est fier, dignité de la soif de connaissance, dignité de la résistance à la bêtise et à la pression de la masse. Et leur indignité quand ils jouent sur les ressorts les plus misérables de l’âme, les peurs, les envies, la lâcheté, le rejet de l’autre, quelle que soit sa différence.
C’est parfois beau à pleurer, la fin inéluctable (et annoncée) est d’une bassesse et d’une veulerie à vomir, c’est tellement représentatif de l’humanité d’hier et d’aujourd’hui dans sa complexité, de ce qui nous fait aimer, haïr, admirer et mépriser les hommes … C’est un très grand roman.
Ron Rash / Une terre d’ombre (The cove, 2012), Seuil (2013), traduit de l’américain par Isabelle Reinharez.