« Il leur fallu longtemps pour crucifier le gosse. Pas parce qu’il leur faisait des difficultés ; en réalité il se montrait presque coopératif. Non, leur problème était de parvenir à enfoncer les clous dans ses paumes : sans arrêt, ils rencontraient des os. » Ainsi commence Chemins de croix la nouvelle aventure de Jack Taylor.
Souvenez-vous … A la fin de La main droite du Diable Cody, un jeune chien fou qui voulait devenir privé avec Jack venait de se prendre une balle destinée à son idole. Juste au moment où Jack, baissant la garde, commençait à l’aimer et à le considérer comme un fils. Autant dire qu’il n’a pas le moral et que ses visites quotidiennes à Cody à l’hôpital où il est plongé dans le coma n’arrangent rien. Si on ajoute le souvenir de Serena, la gamine de ses meilleurs amis morte alors qu’elle était sous sa garde, on comprendra qu’il peut difficilement plonger plus bas …
Par désœuvrement, il accepte d'aider Ridge, la garda avec qui il a lié une étrange amitié houleuse, à découvrir qui a bien pu crucifier vivant un jeune homme de 17 ans sur les hauteurs de Galway. Une nouvelle plongée dans la folie et l'horreur qui ne va certainement pas améliorer son humeur ni sa confiance dans ses semblables.
La descente aux enfers de Jack est sans fin. Chaque fois qu'on pense qu'il a touché le fond Ken Bruen arrive à l'enfoncer un peu plus. Il est pourtant increvable et continue, boitant bas, à déambuler dans un Galway qu'il reconnaît de moins en moins. Les vieilles maisons et les vieux pubs disparaissent, remplacés par des cafés branchés et des appartements sans âmes vendus une fortune à des jeunes qui parlent comme des acteurs américains. Presque plus personne n'offre une tasse de thé aux visiteurs. Tout a été balayé par l'argent vite gagné et l'accumulation de biens tous plus inutiles les uns que les autres.
Et pourtant, un vieux mot chaleureux en gaélique, une Guiness parfaitement servie, une lumière de fin d'été arrivent encore à lui redonner envie de vivre. Jusqu'au prochain coup du sort ...
Une fois de plus l’enquête n’a aucune importance (elle ne commence d’ailleurs vraiment qu’à la moitié du roman), le véritable suspense consiste à savoir comment Jack va survivre, comment il va puiser la force d’un de ses coups de gueule, d’une de ses bravades. Coups de gueules, humour grinçant et bravades qui donnent lieu à quantités de phrases et de répliques cultes qui pourraient toutes être relevées et notées ici. Comme autant d’œuvres d’art.
En bref, la série Jack Taylor reste un des sommets de ce que le roman noir nous propose actuellement.
Ken Bruen / Chemins de croix, (Cross, 2007) Série Noire (2009), traduit de l’anglais (Irlande) par Pierre Bondil.