Me revoilà, pour parler bouquin avant de vous faire un compte-rendu plus détaillé de TPS. Je vous l’avais promis, je tiens mes promesses moi. Voici donc le très attendu Le Bloc de Jérôme Leroy, un roman qui ne va pas manquer de susciter des commentaires éclairés et pertinents de gens … qui ne l’auront pas lu.
La politique sécuritaire à coup de CRS et de contrôle au faciès, le délitement programmé et encouragé du lien social, les couplets répétés sur le communautarisme et le choc des civilisation, la crise acceptée pour ne pas dire encouragée par une classe politique qui, au mieux ne comprend rien, au pire a tout intérêt à ce que les choses aillent de plus en plus mal … Tout cela finit par avoir un effet prévisible : les zones les plus pauvres sont devenus des zones de guerre, la répression, les affrontements amènent leur lot de morts et la droite au pouvoir, paumée, accepte de faire rentrer des ministres du Bloc au gouvernement.
Durant la nuit de négociations, Antoine, mari d’Agnès Dorgelles, présidente du Bloc, fille du vieux président historique, boit, et se souvient. Comment il est passé à l’extrême droite, comment il est monté dans l’appareil du parti … Il se souvient surtout de son amitié avec Stanko. Stanko qui cette nuit est traqué. Stanko, ancien skin, violence à fleur de peau, devenu le grand patron des services de sécurité du Bloc et qui, en cette nuit de négociations, est devenu imprésentable pour un parti qui accède à la respectabilité. Stanko qui doit donc mourir et est traqué par les nervis qu’il a lui-même formés.
On va commencer par se débarrasser des bêtises.
Et pour commencer mon allergie au mot improbable. Arrrrgh, Jérôme, pas toi, pas toi le coup de « la robe improbable » !! Je suis poursuivi !! Je ne saurais plus dire où il est ce putain d’adjectif, mais je suis certain de l’avoir vu !!!
Venons-en au « problème » des personnages. Oui, il y a beaucoup de Jérôme Leroy dans Antoine. Horreur, malheur ! De la sympathie pour un facho ? L’auteur serait-il passé à l’extrême droite ? C’est quand même très con comme question non ? Quand Marcus Malte écrit du point de vue d’un transsexuel dans Carnage constellation, personne ne va vérifier s’il a toujours ses joyeuses, quand Don Winslow nous met dans la tête d’un narco mexicain, la DEA ne l’arrête pas, quand Valerio Evangelisti nous plonge dans la tête de la pire pourriture jamais présentée sur la page blanche, Eddie Florio, personne ne se demande s’il est violeur, traitre, tueur … Alors pourquoi, juste parce qu’Antoine et Stanko ne sont pas des brutes monolithiques, inhumaines, incultes et abruties se demanderait-on si Leroy est devenu facho ?
Par connerie ? Par paresse intellectuelle ? Par réflexe idiot ? Là j’avoue que je n’ai pas la réponse.
Et oui, il y a du Leroy dans Antoine, jusqu’à son goût discutable pour des musiques …que je ne qualifierai pas : « on entendait la voix délicieusement approximative de Chantal Goya ». Mais pour ceux qui veulent bien se donner la peine, il a même donné la clé de ce qui les rassemble et les éloigne définitivement : « Oui tu étais sans doute fait comme ton grand-père, pétri de haine pour un monde de conventions et d’hypocrisie, mais toi, par cynisme, lassitude, dandysme mal placé, tu as décidé de jouer avec les pantins autour de toi, de faire le marionnettiste alors que le vieux professeur d’histoire, chrétien et communiste voulait, lui, les …, comment disait-on déjà, oui, les émanciper. »
Voilà, indignés un poil fainéants, l’auteur vous a donné la clé, et si vous avez la flemme de la chercher, votre serviteur vous la met sous le nez …
Ceci étant dit, oui c’est un grand bouquin qui rejoint (comme je le disais il y a quelques jours) les constats de Thierry Di Rollo et d’Olivier Bordaçarre.
Le choix des personnages et la construction, sont impeccables. Leroy, en bon tragédien, fait semblant de respecter l’unité de lieu et de temps. Tout se passe en une nuit, chaque personnage est coincé dans sa chambre. Il s’en échappe en faisant appel à leurs souvenirs, nous refaisant vivre la montée du Bloc, ses soubresauts, son chemin vers la respectabilité, la percolation de ses idées dans la classe politique et médiatique …
Tout cela est bien beau, mais ne fait pas un bon livre. Ce qui fait que ce polar est grand ce sont ces deux personnages. Toute la force du roman vient, justement, de ce que les imbéciles reprochent à l’auteur : On y croit, on comprend (j’ai dit comprend, pas partage) leurs raisons, mieux, on les sent dans ses tripes, on finit même, parfois, horreur de l’horreur, par sentir une certaine sympathie. Et oui, c’est ça qui fait mal, ce ne sont pas des monstres, ce sont des humains, un peu, beaucoup, comme nous. Et c’est pour cela que le bouquin nous touche, et c’est pour cela qu’il faut les combattre et combattre une société qui les fabrique. C’est aussi pour ça qu’on peut aussi gagner. On ne peut pas gagner contre des monstres inhumains, sauf si on les extermine. On peut face à des gens fabriqués comme nous qui ont juste fait d’autres choix. Mais pour ça, il faut les connaître …
Alors non, ce n’est pas agréable. Manquerait plus que ça. Mais c’est un grand bouquin. Dont la lecture devrait être obligatoire. Ne serait-ce que pour donner tord à l’auteur et pour que tout ne se termine pas comme dans son roman.
Vous connaissez l’histoire de la grenouille qui ne saute pas de la casserole parce qu’on monte la température de l’eau petit à petit et qu’elle se rend compte trop tard qu’elle est en train de cuire ? En bien nous devons remercier Thierry Di Rollo, Olivier Bordaçarre et Jérôme Leroy. Chacun à sa façon nous balance l’eau bouillante à la figure. Ca fait mal, ça brûle, mais ça nous poussera peut-être à sauter hors de cette foutu casserole avant qu’il ne soit trop tard. Restera ensuite à la balancer à la tronche de ceux qui veulent nous faire cuire.
Jérôme Leroy / Le bloc, Série Noire (2011).