Un roman qui, dès le premier chapitre, fait référence à Carlos Gardel, Carlos Santana, Buenaventura Durruti et Pablo Neruda, est un roman qui commence bien. Et un roman qui ne peut pas être complètement mauvais.
Quand son titre L’ombre de ce que nous avons été (La sombra de lo que fuimos) réussit à faire référence, d’un seul coup d’un seul, à Paco Ignacio Taibo II (avec Ombre de l’ombre et Nous revenons comme des ombres), et dans une jolie mise en abîme à Osvaldo Soriano (Una sombra ya pronto seras) qui se réfère lui-même au tango Caminito (et nous revoilà avec Gardel), on se dit qu’en plus, il risque même d’être bon !
Et quant rapidement on lit ça :
“Au petit jour, on avait sept mille volatiles à poil et morts de froid
- Rien n’a d’importance quand on a la chaleur des grandes vérités prolétaires, énonça Arancabia »
On sait sans l’ombre (encore) d’un doute, que c’est très bien parti. Mais ça, je le savais avant même de commencer, parce que j’aime tout ce qu’écrit Luis Sepúlveda.
Ils sont trois, vétérans des grandes espérances de 71, rescapés de la terreur d’après le 11 septembre 1973. Ils sont passés par les prisons de Pinochet ou se sont enfuis et ont vécu en exil. Mais ce soir, dans un Santiago noyé de pluie, ils se sont retrouvés et attendent le Spécialiste qui doit leur proposer un coup, le dernier, le plus beau. En attendant, ils se rappellent, leur jeunesse, leur enthousiasme, l’exil, et les camarades qui n’ont pas eu leur chance. Le Spécialiste ne viendra pas, mais un quatrième larron viendra compléter ces trois mousquetaires, comme le veut la tradition.
C’est beau comme du Sepulveda.
Des personnages que l’on aime instantanément, un talent de conteur intact (et pourquoi ne le serait-il pas ?), pour un très beau texte plein d’une douce nostalgie qui l’amène à décrire la jeunesse des personnages avec beaucoup de tendresse, mais sans occulter ses côtés ridicules et ses outrances.
Une très belle évocation de l’exil, et l’impossible retour dans un pays fantasmé, rêvé … qui a changé et n’est plus celui dont ils se souvenait. La colère de voir qu’à quelques exceptions près, leur compatriotes préfèrent oublier, tourner la page, oubliant leurs valeurs, leurs souffrances, les amis morts ou disparus …
Le plaisir de retrouver des personnages qui ne renoncent jamais, qui ne baissent pas les bras, et pour qui batailler, et batailler avec panache, est bien plus important que gagner. Les cousins chiliens des héros de Taibo.
L’intrigue n’est guère importante, mais tout le reste est tellement émouvant que, finalement, qui est-ce que ça gène ? Certainement pas moi.
Luis Sepúlveda / L’ombre de ce que nous avons été (La sombra de lo que fuimos, 2009), Métailié (2010), Traduit de l’espagnol (Chili) par Bertille Hausberg.